"La plus grande sagesse est de paraître fou"
L' Éloge de la folie est présenté par son auteur lui-même, lors de ses correspondances avec son ami Thomas More, comme une simple distraction de voyage, un jeu. "Voulant donc m'occuper à tout prix, et les circonstances ne se prêtant guère à du travail sérieux, j'eus l'idée de composer par jeu un éloge de la Folie."
La publication de cette œuvre attira pourtant sur Érasme les foudres de nombre de ses contemporains, donnant naissance à une vaste polémique qui dépassa assurément le cadre de l'amusement dont il se réclamait à l'origine.
Pour cet étonnant éloge, l'auteur a choisi de s'exprimer à la première personne. La Folie, en tant qu'entité quasi-divine, choisit de laver en personne son honneur bafoué par les propos malfaisant des Hommes à son égard. "On a raison de se louer soi-même quand on ne trouve personne pour le faire".
S'entame alors ce qui semble être une démonstration point par point. La Folie s'efforce de mettre en évidence, preuves à l'appui, son influence positive en ce monde et son hégémonie chez les Dieux.
Il faut reconnaître qu'elle est convaincante! Fin observateur de l'espèce humaine dans ce qu'elle a de plus beau mais aussi de plus mesquin, Érasme nous livre un portrait particulièrement juste et touchant de celle-ci. Nulle classe sociale n'y échappe. Chacun, même à notre époque, se retrouvera dans ces propos et c'est là tout le génie du remarquable penseur qu'il était.
Les chapitres sont très courts, incisifs mais rarement méchants, la lecture est rapide.
On sent avant tout à travers ses mots un profond amour pour l'Homme et une volonté d'encourager la Vie terrestre sans pour autant remettre en cause, au contraire, la spiritualité. Très croyant, Érasme ne renie jamais les fondements du catholicisme dans son éloge. Il fut pourtant vivement critiqué par l’Église pour cette œuvre.
Ce qui nous amène à la seconde moitié du texte.
Cette scission n'est pas réellement assumée. Elle se fait progressivement. Mais elle me semble bien réelle. Petit à petit, alors que la Folie entreprend de démontrer son importance au sein des classes dirigeantes (y compris et surtout religieuses), le propos évolue. La douce ironie, qui primait jusqu'alors, fait place à un ton vindicatif, presque haineux par moment. Les chapitres s'allongent ostensiblement comme si l'auteur se laissait emporter par la passion et le besoin d'écrire sur le sujet. Le fil conducteur tend à disparaître et l’éloge se fait manifeste revendicateur. Ceci tendrait à corroborer les dires d’Érasme affirmant avoir rédigé le-dit éloge au fil de la plume, d'une seule traite. "Vous entendrez de moi une improvisation non préparée."
Dans cette deuxième partie, les ecclésiastiques sont victimes de virulentes critiques. La Folie se fait accusatrice et met en évidence, sans pitié, le fossé qui sépare les valeurs originelles de la religion catholique et les pratiques religieuses d'alors. Sous couvert de naïveté et d'humour, Érasme remet en cause un système solidement établi.
On comprend alors mieux les réactions provoquées par le livre.
Une question se pose cependant. Érasme s'est-il laissé emporter par sa plume comme il le prétend ou cet éloge n'est-il pas un manifeste politique et religieux parfaitement raisonné?
Il est assuré qu’Érasme était un libre penseur. Mais qu'en était-il de la liberté d'expression? Au vu de la gravité des accusations portées, n'a-t-il pas choisi de se protéger derrière une apparente frivolité? On comprend mal la nécessité de l'appui de Thomas More pour la publication d'un banale divertissement de voyage.
Encore aujourd'hui, le doute subsiste.
Mais une chose est certaine, cet éloge est riche en enseignements sur le genre humain et sur une époque passionnante, pas si lointaine que ça.
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