À lire comme une apostille de la Vie sur Terre ? En attendant la fin du monde n’en a certes pas, l’envergure, quelque sens que l’on donne à ce mot. Il me semble aussi que le court ouvrage de 2018 est moins abstrait, à l’image de ces photographies de l’auteur qu’on trouve çà et là (1). Comme si c’était aux photographies de prendre en charge le point de vue, le regard que le texte porte sur le réel m’y semble moins subjectivé.
Ce qui ne signifie pas que l’auteur ne donne pas son avis. Seulement, il le présente comme une évidence : « se donner le beau rôle de sauver la planète – prétention inconvenante, d’abord ridicule et vouée à l’échec si c’est à y employer ce même rationalisme à quoi nous devons d’en être arrivés là sous la conduite de la passion lucrative, qui entend spéculer habilement sur l’apocalypse elle-même, accumuler bonus et dividendes au seuil même de son néant. […] Des mondes, la planète s’en fera d’autres ; comme c’est à la faveur d’autres extinctions que nous devons d’être entrés dans la carrière » (p. 16-17). Sous réserve de vérification, la première personne du singulier est peu employée dans En attendant la fin du monde, à la différence de la troisième du singulier.
Un critique qui ne s’en tiendrait décidément qu’à la littérature peut aussi envisager la différence sous l’angle générique : En attendant la fin du monde serait au récit de voyage illustré ce que la Vie sur Terre était à la prophétie biblique – je parlais du Qohéleth dans ma critique de ce dernier – et ce qu’Eugène Atget, poète matérialiste était à la biographie d’artiste.
Pour le reste, les idées exposées sont les mêmes, à commencer par cette dénonciation sans réserve d’un progrès technique aliénant par nature d’une part, d’autre part accélérant vertigineusement la course à la fin du monde, destructeur de cette conscience « À défaut de quoi l’existence perd toute intelligibilité, toute possibilité de s’appréhender elle-même, d’avoir une forme (évidence qui échappe complètement aux transhumanistes comme à l’individu obnubilé par le distractif se proposant à lui par l’optiphone), et cette dégénérescence maculaire de la conscience (en quelque sorte) à cet égard est aussi ce qui dérobe la compréhension des rétroactions qui sont à s’entre-heurter dehors ; l’idée même de celui-ci, qu’il y avait un extérieur à l’internité, une réalité munie de son propre calendrier, n’ayant que faire de nos attentes, de nos projets personnels, de nos investissements d’infrastructures, de nos parcs de serveurs où l’on voudrait s’en cacher » (p. 58-9).
Hermétique ? Sans aucun doute, mais un peu moins quand on a compris (plus tôt dans l’ouvrage) que l’« optiphone » désigne le smartphone, et que « celui-ci » désigne le « dehors ». C’est que ces soixante et quelque pages sont à lire un peu plus attentivement que le catalogue Ikea ou que des sous-titres de BFMTV…


(1) Que, cette fois, la plupart des citations d’autres auteurs soient sourcées me paraît être un autre visage de cette abstraction moindre.

Alcofribas
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le 9 nov. 2019

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