Incontournable Roman Octobre 2025



J'ai mit du temps avant de rédiger cette critique car elle met de l'avant des émotions très désagréables et des sujets importants, je voulais donc m'assurer d'être "à jeune" émotivement avant de me lancer. J'ai trouvé ce roman très habile et très pertinent, car ce qu'on traite ici sont les relations amicales toxique ( très toxique, j'ai envie de préciser),le syndrome du Sauveur/Infirmier et la détresse mentale lié à un contexte socio-familial rempli de facteurs de compromission.



Amélie et Kim sont amies, mais j'ai beau regarder leur relation dans tous les sens comme un cube rubix, je ne trouve rien de sain dans leur relation. Amélie tente de répondre à son besoin de contact humain pour lutter contre ce qui me semble être une estime de soi très fragile, une confiance en soi anémique et même un sentiment d'infériorité. Pour moi, c'est un bel exemple d'être "mieux mal accompagnée que seule". Cette relation ne la hisse pas vers le haut, au contraire, elle la tire de plus en plus profondément vers le bas, vers une remise en doute de ses compétences, une minimisation de ses besoins et un sentiment global de ne pas être à la hauteur. Il y a des épisodes d'agréments, mais les relations toxiques en ont généralement. Ce qui la rend malsaine, c'est que pour "Mériter ses moments agréables", elle doit payer très cher et ce prix n'est pas matériel,, mais bien psychologique. Amélie est sous emprise, entre les menaces voilées, les innombrables reflets que fait Kim en transposant sa propre vision ou situation sur celle d'Amélie, les remarques passives-agressives et même les petits jeux sournois. On en a un exemple notable avec cette fois où Kim a initié un premier baiser avant de se rétracter promptement en riant. Je ne pense pas que c'était pour rire. C'était pour blesser. Kim est excellente pour savoir exactement où mettre le doigt pour malmener Amélie et c'est là tout l'ampleur de l'impact néfaste qu'à cette jeune fille sur Amélie. On a même l'impression qu'elle "joue" avec elle, exerçant peut-être la malice dont elle est elle-même victime sur Amélie, peut-être inconsciemment, mais certaines situations me semblent laissé entendre le contraire.


Attention, à partir d'ici, il y aura des divulgâchis.


Kim est une enfant négligée, peut-être aussi maltraitée. On peut imaginer qu'elle a de très piètres compétences sociales, mais pour en avoir connus, venir d'un milieu difficile de rend pas systématiquement médiocre en relations interpersonnelles. À bien des égards, Kim me rappelle beaucoup ces imbuvables bad boys dans les romances, avec son côté volontairement méchant, ses sournoiseries affectives et sa façon de manipuler Amélie. Elle semble savoir qu'elle lui fait du mal, mais refuse de s'en défaire. Elle a même saboté en toute connaissances les chances d'Amélie de devenir basketteuse, voyant que non seulement elle s'améliorait, mais surtout, que de nouvelles filles envisageaient de s'en rapprocher. Kim oriente toujours ses besoins sur elle, c'est sans doute son attachement insécure qui parle dans ces moments là, mais la façon qu'elle le fait est odieuse. Tous comme ces bad boys que je déteste, Kim profite de l'admiration et de l'affection d'Amélie pour combler ses besoins, sans jamais penser aux siens. Et tout comme dans ces romances toxiques, où la fille se persuade qu'elle est la "seule à pouvoir le sauver", Amélie se persuade qu'elle est la seule à pouvoir sauver Kim.



"Le syndrome de l'infirmière" décrit un schéma relationnel où une personne se sent obligée de "sauver" ou de prendre soin des autres, au point de négliger ses propres besoins et son propre bien-être". On l'associe à une estime de soi très faible et d'une propension à la dépendance affective, elle même souvent lié un attachement insécure. Amélie me semble correspondre assez solidement à ce schéma, elle qui dépend assurément du regard de Kim, tout en s'oubliant complètement pour répondre à ses besoins et ses désirs, tout en tentant de la "sauver" de ses idéations suicidaires. En clair, Amélie choisi de ne pas demander de l'aide, assumant qu'elle peut porter seule le fardeau de la révélation de son amie, qui bien sur, lui a fait jurer de ne le dire à personne. Amélie porte donc le double fardeau de suivre les plans et les désirs de Kim, mais également le poids de sa survis. C'est colossal comme fardeau, que la responsabilité d'une personne qui se dit capable de s'enlever la vie - et non, ce n'est pas une blague comme le dit Kim. Ce genre de phrase n'est pas anodine.



J'ai envie de dire que l'arrivé de Kim dans la vie d'Amélie ressemble à un lent poison. Pauvre Amélie qui ne voulait qu'un peu de compagnie avec une fille qui lui inspirait quelque chose de positif. Je ne dis pas que je n'éprouve pas de compassion pour Kim, elle me fait pitié et les véritables personnes qui lui ressemblent aussi. Toutefois pourquoi serait-ce à Amélie de se sacrifier pour Kim? Surtout qu'Amélie ne sauvera pas Kim d'elle-même. Je me garde bien de tomber dans le piège de tous ces romans qui banalisent ce genre de relation. Ce sont des relations toxiques, et elles n'apportent rien de bon, surtout pour la personne qui la subit. Ici, nous avons un exemple d'histoire où la toxicité est très claire. Savoir se retirer d'une relation qui ne nous apporte rien sinon une longue et cyclique souffrance n'est en rien de la lâcheté, au contraire, il faut beaucoup de courage pour y échapper. Et contrairement à ce que les romances toxiques prétendent, non, "sauver quelqu'un" n'a rien de romantique. Ce n'est pas de l'amour/amitié, mais une forme de parasitage ou de relation de co-dépendance. Ce n'est pas non méritoire, parce que l'amour et l'amitié sont inconditionnelles: on a pas à "payer" pour les entretenir. Enfin, ce n'est pas là le rôle d'un ami/amoureux. C'est là le champs d'expertise des intervenants sociaux, psychologues et psychothérapeutes. L'amitié et l'amour peuvent êtres solidaires, mais ne soignent pas. J'aimerais tant que cesse ce mythe aliénant et mensonger qui circulent encore dans les romances, faisant peser lourd sur les épaules des filles le fardeau de sauver les gens vulnérables jusqu'à s'en rendre malade et s'oublier complètement. Je suis donc assez heureuse de voir ce petit roman ne pas sombrer dans la même aliénation.



Enfin, le dernier thème, le suicide. Kim tient des propos préoccupants et se fâche quand Amélie réagit en s'inquiétant. Kim ne réalise peut-être pas le mal qu'elle fait en faisant ça: "Écoute moi parler de ses angoisses, mais ferme ta gueule." Elle a le droit de verbaliser ses soucis, mais oublie que c'est maintenant Amélie qui vit avec le poids de ses mots. En lui disant se de taire, elle la laisse avec la charge de tout garder pour elle. Et ça, c'est un autre poison. Ce qu'Amélie donne comme exemple dans son histoire est la pire des situations, celle où elle ne se confie pas, ne vas pas chercher de support extérieur et se donne le rôle de "sauveuse", de gardienne. Jamais personne ne devrait vivre une situation pareille, ce doit être terriblement souffrant et angoissant, en particulier pour une adolescente. Par ailleurs, Kim ayant des idées suicidaires, ça trahit donc une réelle détresse psychologique, mais elle est terriblement réactionnaire et minimise ses propres paroles. C'est un personnage qui a une estime très fragile, n'en doutez pas. Les personnes qui sont exécrables avec les autres ont généralement de gros enjeux dans leur vie, même si je le réitère, ça ne justifie aucuns comportements inadéquats. Ça les explique, toutefois.



Oui, Kim a besoin d'aide, mais non, ce n'est pas à Amélie de la sauver. Dans une situation plus saine, elle aurait pu être une alliée, quelqu'un qui encourage à aller chercher de l'aide. Se choisir, refuser de couler avec l'autre, c'est choisir de se sauver. Et ce n'est pas égoïste. Toutefois, il faut aussi de la lucidité pour le constater et il aura fallut une dernière situation pour que la relation entre les filles change enfin. En effet, Kim, fort probablement à bout de patience, décide de fuguer pour de bon. Elle entraine Amélie avec elle, après une longue et sournoise germination d'idée comme quoi sa famille à elle ne l'aime pas non plus. Kim a su transposer sa propre réalité dans cette d'Amélie, lui disant à répétition que ses parents lui pourrissent la vie, qu'elle est stupide et qu'elle ne doit faire confiance à personne. Résultat, la situation familiale d'Amélie s'est détériorée et elle a fugué elle aussi. Mais.



Quand les deux filles parviennent dans la forêt, Kim a le projet de bruler des objets symboliques de sa jeunesse pour clore ce chapitre de sa vie. Amélie, encouragée par Kim, ne parvient pas à en faire de même. Ce qu'elle illustre comme "une noyade dans le goudron [ le sol ]", elle veut s'en échapper. Elle rejeté alors toutes ces idées selon laquelle sa famille ne l'aime pas, même toujours pétrie de cette culpabilité que Kim a si bien su canaliser contre elle. Elle rejette également l'idée selon laquelle Kim "l'aime". "Tu m'aurais pas laissé t'aimer". C'est là l'idée que je retrouve encore une fois souvent dans les romances toxiques, cette idée insensée qui laisse entendre que les bad boys sont sauvés parce qu'ils tombent amoureux d'une gentille fille qui pardonne tout. Sauf que ces belles gueules sont incapables d'aimer sainement, parce que, justement, ils souffrent. Je réitère que l'amour n'est pas un remède, c'est un allié.

Ça m'a tellement fait plaisir de la lire, cette pauvre Amélie dépassée, inexpérimentée et très vulnérable arriver à prendre son courage à deux mains et dire: Non. Non au rejet de sa famille, non à la violence continue, non aux remarques mesquines, aux insultes, aux non-dits, non à cette relation amicale qui fait mal. Et non au fardeau de tout perdre pour aller de perdre dans une relation inégale qui n'aboutira jamais à une guérison. Se choisir, elle, plutôt qu'une relation qui est en train de la détruire. Voir également les mensonges, l'aliénation et surtout, leur souffrance de part et d'autre que leur amitié n’adoucit pas. Comment le pourrait-elle?



Amélie me semble incarner un certains nombre d'adolescentes et d'adolescents, ces jeunes qui sous leurs bonnes intentions, pavent la voie à leur propre chute parce qu'ils sont sous l'emprise de gens qui exploitent leur fragilités. J'avais lu quelque part qu'il y a la violence qu'on subit, mais il y a aussi la violence qu'on accepte, à laquelle on consent. Amélie a consenti à cette relation parce qu'elle craignait de finir seule, alors même que de notre point de vue de Lecteur, on voit que d'autres gens s'intéressent à une relation amicale avec elle. Je fais ce constat en me disant , comme bien souvent, que nous devrions mieux éduquer et outiller nos jeunes sur la psychologie humaine. On pourrait y parler des ingrédients relationnels, des relations toxiques, des enjeux psychologiques, de la santé mentale, des différentes personnalités ou plus simplement des mécanismes de défense ou de la théorie des attachements. Je ne crois pas que ce soit du temps perdu de parler des dynamiques et des émotions qui nous relient les uns aux autres, nous qui sommes des êtres sociaux. Je ne pense pas non plus qu'il soit trop tôt pour aborder le suicide, ses signes avant-coureurs ou les façons d'accompagner les ados qui ont des idéations suicidaires.


Bref, j'ai beaucoup aimé cette lecture, qui parle de tant de choses importantes. Comme il fait parti des Micro aux éditions Courte Échelle, il a en plus l'avantage d'être très petit, rendu dans une langue ps crue, concise et chargée émotivement, quelque part entre le monologue et la nouvelle. Il peut donc se prête donc très bien à une pluralité de lectorats, des lecteurs habitués aux lecteurs occasionnels. Il se prêterait bien à une lecture de groupe, je trouve. je serais vraiment curieuse d'avoir les impressions du lectorat adolescent sur ce petit livre si rempli. Pour reprendre les mots de la maison Courte Échelle: "Des œuvres écrites dans une langue empreinte d'oralité pour questionner, s'indigner, révéler , dénoncer, témoigner ou simplement déposer des mots là où ça fait du bien". Et ça fait effectivement du bien d'enfin lire que dire non à une relation toxique c'est non seulement possible, c'est souhaitable.



Pour un lectorat adolescent, 12-15 ans+

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il y a 4 jours

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Shaynning

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