Epépé
7.2
Epépé

livre de Ferenc Karinthy (1970)

Le héros d'Epépé, Budaï, est un linguiste perdu dans une mégapole immense et cosmopolite, où tout le monde parle une langue incompréhensible. Il se heurte de plein fouet à cette inintelligibilité, en dépit de toutes les ruses dont le dote F. Karinthy. Malgré cela, et toute son expérience de linguiste, rien à faire ; même le nom de la seule connaissance qu'il se soit trouvé dans cette ville pourtant grouillante, ne lui sera jamais évident (même s'il choisit finalement une version, qui donne son titre au roman : “Epépé”).


Epépé est un livre parfois un peu répétitif, ce qui est son principal défaut. Tout au long du roman, Budaï cherche à comprendre ce qui lui arrive, se perd dans la ville, s'inquiète de son devenir compte tenu des maigres ressources dont il dispose. Il y a naturellement une forme de progression, mais je n'y ai pas décelé de motifs architecturaux subtils qui permettraient d'organiser ou de structurer les répétitions visibles. Par rapport au Procès de Kafka, lecture récente qui évoque aussi une situation d'échec ou d'aporie du personnage principal, Epépé adopte des péripéties trop périodiques qui font fluctuer l'intérêt du lecteur.


Celui-ci est par ailleurs rattrapé par l'intelligence du sillon que laboure consciencieusement le livre. Epépé évoque chez son lecteur une foule de remarques. La plus marquante est sans doute la suivante : tous ces gens qui courent l'immense ville se comprennent-ils ? F. Karinthy le suggère par moments, notamment lors de la nuit partagée par Budaï et Epépé, qui parviennent à discuter, “grosso modo”, de leurs vies… sans se comprendre. La violence, la brutalité, la vulgarité des rapports sociaux (dans une forme hypertrophique qui rappelle la vie dans les grandes villes modernes) nous pose évidemment une question en retour : est-il vraiment nécessaire que nous nous comprenions pour vivre les vies que nous vivons ? Ne serions-nous pas à peu près fonctionnels sans langage ? (la réponse scientifique est, évidemment, “non” — mais la vérité littéraire est souvent différente, et peut bien souvent servir à exhumer de puissantes intuitions sous-jacentes).

Venantius
7
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le 26 mars 2016

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Venantius

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