Eugénie
Eugénie

livre de Jean des Cars (2008)

À l'école républicaine, que j'ai fréquenté comme beaucoup d'entre nous, pendant de nombreuses années, on m'a toujours dit dans les cours d'histoire que le Second Empire de Napoléon III était une période de honte et de guerre pour la nation française sans aucune tentative d'objectivité: "L'Empire, c'est la guerre." Qu'il n'y avait rien à en retenir si ce n'est les travaux d'urbanisation de la ville de Paris orchestré par le baron Haussmann, la percée du Canal de Suez de Ferdinand de Lesseps et la célèbre défaite de Sedan. Rien de plus, si ce n'est encore la haine viscérale de Victor Hugo, image d’Épinal de l'intellectuel républicain fuyant courageusement la "pression" et la "censure" de l'empire. Pour moi, si Victor Hugo détestait le Second Empire, c'est qu'il avait une excellente raison. De fait, je n'ai jamais voulu creuser plus loin cette période, moi, qui me revendique passionné d'histoire ! La lecture de cette biographie d'Eugénie de Montijo, impératrice des français à partir de 1853, m'a fait comprendre à quel point la république, comme n'importe quel autre régime politique, peut être vengeresse, malhonnête, réductrice et de mauvaise foi. La république, impopulaire au XIXe siècle et courant désespérément après le pouvoir depuis la Révolution française, par un concours de circonstances, ramasse fièrement les miettes de Napoléon III en 1870 après l'abdication forcée de l'impératrice à Paris. Le reste, les cours donnés aux petits enfants, l'historiographie républicaine n'a retenu du Second Empire que ce qu'elle a bien voulu ; c'est à dire ce que je vous ai cité au dessus. Malheur aux vaincus ! C'est une logique simple du régime vainqueur : écraser le précédent pour mieux s'affirmer au présent dans une période trouble où la France est passée du coq à l'âne pendant presque cent ans. Diffamer, c'est discréditer. Mais quelle ironie, lorsqu'on apprend que la IIIe république érigea en successeur de Napoléon III, Louis Jules Trochu qui n'est autre qu'un monarchiste convaincu...
L’aparté étant terminé, je fus agréablement surpris par cette biographie assez copieuse (610 pages) écrite par Jean des Cars, auteur que je découvre pour la première fois. Son écriture est claire et limpide. Il narre les faits de manière très détaillée mais on a le sentiment de lire un roman, on ne bute pas sur les noms, les dates et les événements. Parfois on est ému, parfois on rit, difficile de s'imaginer qu'on lit un ouvrage scientifique et non une oeuvre romanesque. C'est un travail formidable de l'historien, joindre érudition et plaisir de lecture : chapeau bas ! Jean des Cars s'érige pour moi, à la première place de mes historiens favoris (en terme d'écriture).
En ce qui concerne l'intéressée du livre, j'ai littéralement adoré ce personnage. Eugénie est une femme extraordinaire. Je ne connaissais absolument rien sur elle, et je ne vous cacherai pas que j'avais de nombreux à priori sur cette femme. Je ne ferai pas ici un court résumé de sa vie ou de ce que j'ai pu apprendre. Simplement, l'histoire n'a retenu d'elle, encore une fois, uniquement ce que la république a bien voulu transmettre. Jean des Cars réhabilite une femme méprisée qui a vécu longtemps (94 ans) et traversé tellement de choses ! Née en Espagne en 1826, morte en 1920 (toujours en Espagne, exil oblige), elle a rencontré des figures historiques extraordinaires dont voici quelques amis intimes : Stendhal, Flaubert, Mérimée, Viollet le Duc, Haussmann, Victoria II, la princesse Sissi, en bref, tous le gratin aristocratique d'Europe au XIXe siècle. Elle a traversé un siècle, de Louis-Philippe, roi des français jusqu'au lendemain de la première guerre mondiale. Le monde a changé très rapidement, Eugénie fut le témoin vivant de ses mutations incroyables. Son règne, en tant qu'impératrice, n'est pas le scandale que la mémoire nous a transmis. Je vous invite à vous renseigner, à lire, pourquoi pas, cette fabuleuse biographie car Eugénie était une femme généreuse, très croyante qui a beaucoup donné de sa personne pour le peuple. La soupe populaire, ancêtre des Restos du Coeur, est une initiative du couple impérial par exemple. L'impératrice n'a jamais été une dépensière opulente, ni une femme légère, ni une mauvaise mère, elle a eu des travers, comme tout le monde, l'histoire ne lui a pas pardonné. Je vous renvoie au fiasco de l'affaire mexicaine et à l'amorce de la guerre contre les Prussiens, car il faut l'admettre, qu'elle en assume une certaine responsabilité. Pour ce qui est de l'histoire du tombeau de Napoléon III, d'Eugénie et de leur fils unique, Louis-Napoléon, mort en Afrique en 1879, certains français aujourd'hui réclament le retour de ses corps en France, depuis le Royaume-Unis, puisque ce sont des figures historiques de notre pays. Je ne suis pas d'accord. Quand on a méprisé et humilié avec tant de véhémence la famille impériale, comme le français (la IIIe République ?) sait si bien le faire, on ne programme pas un retour d'exil posthume afin d'oublier les rancœurs puériles de l'histoire. À son abdication en 1870, jusqu'à sa mort en 1920, Eugénie a vécu 50 ans ! Pendant 50 ans, la France n'a jamais plus voulu entendre parler d'elle, a refusé de participer à l'enterrement de Napoléon III et de Louis-Napoléon (alors que des délégations de toute l'Europe étaient présentes, seule la France n'était pas au rendez-vous), lorsque la France refuse pendant la première guerre mondiale l'aide financière et matérielle d'Eugénie pour porter secours aux soldats français blessés, 40 ans après la fin de son règne, il faut parler de mesquinerie et de rancœur politique de bas étage. Je passe sur toutes les horreurs qui ont été commises : la destruction du château de Saint-Cloud par exemple, qui est un crime total contre le patrimoine français afin de souiller la mémoire des prédécesseurs car c'était la résidence favorite de Napoléon III et de son entourage. C'est au nom de cette mémoire que le tombeau de cette famille doit rester en Angleterre, comme le souhaitait d'ailleurs Eugénie (appelée vulgairement l'Espagnole, quand on veut lui faire comprendre qu'elle n'a jamais été française comme on appelait autrefois Marie-Antoinette, l'Autrichienne) même si, de son vivant, elle rêvait de pouvoir transférer la dépouille de son mari et de son fils aux Invalides, aux côtés du prestigieux oncle.


Bref, une biographie passionnante sur une figure de notre histoire méconnue, écrite par un historien de génie ! Je recommande mille fois.


*Le titre est une référence au doux surnom que donnait Napoléon III à sa femme, au tempérament volcanique dévastateur (pas espagnole pour rien), pour tenter de la calmer quand elle s'emportait ! J'imagine qu'il faut prononcer le "U" en "OU" ! :D

silaxe
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le 18 avr. 2015

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