Un monde feutré, élégant, plein d'esprit. So british.

Loin des thrillers trépidants, William Boyd sait nous créer de bons personnages, nous tisser de bonnes histoires et surtout il sait nous les raconter avec ironie et brio.

Il nous ouvre les portes d'un monde feutré, élégant, plein d'esprit. So british.


Du haut de ses soixante-dix ans bien tassés, fort de plus d'une vingtaine de romans, nouvelles, pièces de théâtre et scénarios, le prolixe William Boyd reste une icône de littérature britannique, le symbole de l'élégance littéraire so british.

Dans ses romans le lecteur va souvent retrouver un petit parfum d'Afrique (l'auteur a vécu enfant au Ghana puis au Nigeria, papa était spécialiste des maladies tropicales), une bonne dose de noble et élégant romantisme et depuis quelques romans, un soupçon d'espionnage.

Gabriel's moon n'échappe pas à la règle.


Gabriel est un petit écrivaillon spécialisé dans les récits de voyage. Lors d'une escale au Congo, il a l'occasion inattendue d'interviewer le leader socialiste Patrice Lumumba. Le scoop !

Nous sommes en 1960, l'ancien Congo belge est devenu indépendant, Léopoldville va bientôt devenir Kinshasa et l'uranium de la région du Katanga (c'était celui des bombes atomiques de 1945) attire les convoitises étrangères qui préparent activement le coup d'état de Mobutu.

De retour à Londres avec son magnétophone où il a enregistré l'interview, Gabriel apprend que Lumumba vient d'être arrêté puis fusillé.

Son interview ne sera pas publiée.

« [...] – Vous avez vraiment interviewé Lumumba ? s’étonna-t-elle, intriguée.

– Oui, un long entretien. J’ai utilisé deux bandes magnétiques entières. [...] J’ai trouvé que c’était un homme très intéressant.

– Il est mort, annonça Faith Green en fronçant les sourcils.

– Quoi ?

– Fusillé par un peloton d’exécution il y a quelques jours. »


À Londres, Gabriel est bientôt contacté par une émissaire du MI6, la CIA britannique : Faith Green, une femme belle et très élégante, souhaite lui confier une mission en Espagne qui semble bien anodine (un pli, une livraison), mais sans lui expliquer de quoi il retourne.

« [...] – Je me demandais si vous accepteriez de nous rendre un petit service, une petite faveur, – Qui ça, “nous” ?

– Le MI6.

– Allons bon », lâcha Gabriel en s’efforçant de ne pas laisser paraître son trouble, alors qu’il sentait une sorte de panique légitime s’emparer de lui. »


Fasciné par les jolies dames, notre écrivaillon accepte de jouer le rôle de l'« idiot utile » comme il le reconnait lui-même.

« [...] Je suis ce qu’on pourrait appeler un “idiot utile”, répondit Gabriel.

[...] L’aventure, mais une aventure sans prise de risque, qui faisait écho à ses fantasmes d’adolescent : des terres étrangères, des opérations sous couverture, des observateurs cachés, de l’espionnage continental.

À quel jeu jouait-on, au juste ?

[...] – Et j’imagine que vous n’allez pas me dire pourquoi.

– Vous imaginez bien. [...]

– Je vois. Ou plutôt, je ne vois pas. »


Alors qui manipule qui ?

« [...] Écoutez, dans ce métier, on se fait tous manipuler, rappela Caldwell en haussant les épaules. Sauf que la moitié du temps, on ne le sait pas. »

Mais quel peut bien être le rapport entre la mission en Espagne et les bandes magnétiques de l'interview congolais qui semblent attirer les convoitises autour de Gabriel ?

« [...] Toute cette histoire prenait un tour incontrôlable.

Nom de Dieu ! se dit Gabriel en se dirigeant vers le métro. Dans quelle histoire je me suis fourré, moi ?

[...] Où était le lien ? Y avait -il même un lien ?

Et que venait faire la mort de Patrice Lumumba, là-dedans ?

[...] Il commençait à souffrir de « paranoïa de l’espion », comme il appelait ces symptômes. Chercher des liens là où il n’y en avait pas, nourrir de nouveaux soupçons quand il n’y avait rien de suspect, ne pas faire confiance à des gens parfaitement innocents et fiables. C’était contagieux. »


Et quelle est donc cette lune que veut décrocher Gabriel ?

Un nouveau roman à succès pour l'écrivain ? Une belle femme aimante pour le romantique ? Une mission à risque pour l'apprenti espion ? Ou encore la vérité sur l'incendie domestique qui détruisit la maison familiale et fit de lui un orphelin quand il avait six ans ?

Mais il lui faudra d'abord choisir : « Face au choix de trahir son pays ou son ami, on espérait… Comment était-ce, déjà ? On espérait « avoir le courage de trahir son pays. »

(une citation de l'écrivain E. M. Forster).


On apprécie l'écriture fluide, souple, distinguée de cet auteur qui sait nous créer de bons personnages, nous tisser de bonnes histoires et surtout qui sait nous les raconter avec ironie et brio.

On est loin des thrillers trépidants habituels ou des scénarios tordus d'un John Le Carré : William Boyd nous invite dans un monde feutré, élégant, plein d'esprit. So british.

Ce bouquin est un bon cru, facile et agréable à lire, mais qui n'a toutefois pas le panache flamboyant des Vies multiples d'Amory Clay, par exemple.

BMR
7
Écrit par

Créée

le 10 oct. 2025

Critique lue 5 fois

Bruno Menetrier

Écrit par

Critique lue 5 fois

D'autres avis sur Gabriel's moon

Gabriel's moon
BMR
7

Un monde feutré, élégant, plein d'esprit. So british.

Loin des thrillers trépidants, William Boyd sait nous créer de bons personnages, nous tisser de bonnes histoires et surtout il sait nous les raconter avec ironie et brio.Il nous ouvre les portes d'un...

le 10 oct. 2025

Du même critique

A War
BMR
8

Quelque chose de pourri dans notre royaume du Danemark.

Encore un film de guerre en Afghanistan ? Bof ... Oui, mais c'est un film danois. Ah ? Oui, un film de Tobias Lindholm. Attends, ça me dit quelque chose ... Ah purée, c'est celui de Hijacking ...

le 5 juin 2016

10 j'aime

2

The Two Faces of January
BMR
4

La femme ou la valise ?

Premier film de Hossein Amini, le scénariste de Drive, The two faces of January, est un polar un peu mollasson qui veut reproduire le charme, le ton, les ambiances, les couleurs, des films noirs...

le 23 juin 2014

10 j'aime

Les bottes suédoises
BMR
6

[...] Je ne suis pas hypocondriaque, mais je préfère être tranquille.

C'est évidemment avec un petit pincement au cœur que l'on ouvre le paquet contenant Les bottes suédoises, dernier roman du regretté Henning Mankell disparu fin 2015. C'est par fidélité au suédois et...

le 10 oct. 2016

9 j'aime

1