Jean Philippe Jaworski "L'enfoiré !"

Ce n’est pas uniquement du chauvinisme que de dire que la France est encore au-dessus des anglo-saxons niveau littérature. Enfin je ne crois pas.


J’avais en souvenir les récits fournis et recherchés du légendaire JRR Tolkien, l’efficacité simple et légère du fantôme de ce qu’est devenue la très consensuelle – et agaçante - JK Rowling ou encore les livres de ma jeune enfance de « Narnia » à « La croisée des mondes ». Après avoir suivi les nombreux conseils avisés de mes éclaireurs et autres critiques de notre génitron moderne préféré j’ai donc entamé avec force enthousiasme une plongée immersive dans le monde littéraire de la fantaisie héroïque (oui ça marche en Français aussi) que je n’avais pas encore parcourue.


Je suivis alors avec déception les aventures de notre fragile et apathique Fitz dans son rôle de « L’Assassin royal » docile bien qu’attachant, servi par un style littéraire médiocre rempli de « malgré que » et autres joyeusetés. Je pus aussi appréhender avec un certain regain d’intérêt l’aventure plus mature, poétique et mieux tournée de Kvothe dans les trois tomes des «Chroniques du tueur de rois » disponibles en France à ce jour. Et ce fut tout de même une bonne surprise car si le style n’était peut-être pas à la hauteur de l’histoire, cette dernière était suffisamment enivrante pour me faire attendre avec une certaine fébrilité la publication du dernier livre.


Puis je suis tombé sur Don Benvenuto, une grosse mandale dans la poire en prime, dans « Gagner la guerre ».


Le tortueux torturé, tortureur. Le lubrique, l’impétueux. Tout sauf béjaune, le mauvais garçon dont le bon fond n’est pas plus visible qu’un filet d’huile dans le sillon d’un paquebot. Le cynique et violent : Don Benvenuto Gesufal.
Ici plus de faux anti héros à la noix. Plus de pseudo modestie timorée. Jean Philippe Jaworski – écrivain français / cocorico – nous transporte dans la peau de son personnage avec sa gouaille, ses clins d’œil, ses réflexions graveleuses et son parler haut en couleur. En gros on se retrouve à travers les yeux d’un des plus sympathiques salopards qui m’ait été donnés de rencontrer dans mes lectures.


Dès les premières pages nous sommes plongés dans un bordel sanglant où les complots sont légions et où le narrateur se permet même son premier pied de nez au lecteur comme pour bien nous faire comprendre que quelque part, il n’en a pas grand-chose à foutre de nous, comme du reste d’ailleurs, et il l’assume. L’univers se met en place naturellement avec une énergie très plaisante portée par un style très maîtrisé et riche – ce qui est d’une rareté terrible.

Et le talent de Jaworski ne réside pas uniquement dans son style. On suivra Don Benvenuto dans les méandres d’une histoire complexe de complots, de Vendetta sanglantes, de calculs politiques, d’assassinats – Le trône de fer n’a qu’à bien se tenir- sur fond de renaissance italienne et de codes plus propres à la fantaisie. On rencontrera des elfes fêtards, des nains bagarreurs, des sorciers vicelards, des chevaliers de haut rang et des fantômes glaçants. On visitera des villes chaudes aux mœurs étranges, des forêts montueuses aux teintes blanchies par la neige et des capitales adorées, populaires et effervescentes.


Bien sûr il s’agit d’un premier roman après un premier recueil de nouvelles et tout n’est pas parfait. Comme souvent dans les premiers essais, on sent bien que le projet initial était si colossal que l’auteur n’a pas pu aller jusqu’au bout de tous les thèmes qu’il avait voulu aborder et parfois le vocabulaire employé est si recherché – par un zèle un peu trop criant - qu’il pourra légèrement noyer des lecteurs plus habitués à la littérature fantastique anglo-saxonne.


Alors peut être que mon avis est biaisé par le fait que mes compétences anglophones ne me permettent pas une lecture confortable dans la langue de Shakespeare. Peut-être aussi que les traductions françaises sont souvent bâclées dans une mauvaise logique commerciale d’un public visé plus adolescent que confirmé. Mais c’est pourtant cette différence de style, cette recherche du beau, du ficelé, de l’ouvragé qui fait de cette œuvre une réussite française sans égal chez nos meilleurs ennemis.


Pour reprendre les derniers mots de la dernière page de « Gagner la guerre » Jean Philippe Jaworski a vraiment déchiré grave « l’enfoiré » !

LeNatif
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 1 mars 2019

Critique lue 2K fois

5 j'aime

8 commentaires

LeNatif

Écrit par

Critique lue 2K fois

5
8

D'autres avis sur Gagner la guerre

Gagner la guerre
Frusciendrix
10

Ce fut ainsi, par la petite porte, que je m'introduisis dans la famille du Podestat

Titre hommage à ma douce qui m'a "forcé" à lire ce livre (Parce que c'est sa phrase préférée du bouquin et pas pour ce que cela représente bande de petit pervers!) "Forcé" est peut être exagéré mais...

le 23 févr. 2015

47 j'aime

9

Gagner la guerre
camilleeelen
9

Salopard magnifique ou quand la Fantasy devient intelligente.

Ce livre est un chef d'oeuvre. Le précédent livre "Janua Vera" (un recueil de nouvelles dans lesquelles est né Don Benvenuto) était déjà fabuleux mais, là, c'est magistral. Je déteste les héros à la...

le 27 févr. 2011

45 j'aime

10

Gagner la guerre
Alyson_Jensen
9

Revoir Ciudalia et mourir

Tu sais Benvenuto, à trop fricoter avec la camarde, on finit par s'y habituer. Et il n'est jamais bon d'être trop proche de quelqu'un dans notre partie.Tu sais bien qu'un surin se dissimule aussi...

le 11 sept. 2017

35 j'aime

14

Du même critique

1900
LeNatif
10

Les 4 saisons de Bertolucci

Cette œuvre, d’après moi la plus réussie du talentueux et reconnu Bernardo Bertolucci, est avant tout une épopée de grande envergure se déroulant sur plus de 5 heures et qui retrace le parcours de...

le 10 août 2016

15 j'aime

3

L'Odeur des garçons affamés
LeNatif
5

Ceci n'est pas un western

Je n'arrive décidément pas à comprendre ce que tout le monde trouve de si fantastique à cette BD. Etant moi même un inconditionnel du genre "western" et ayant observé les quelques critiques...

le 24 mai 2016

13 j'aime

5

Mort à crédit
LeNatif
10

L'aube du voyage

Compliqué d'établir une critique d'un chef d'oeuvre de la littérature, surtout quand les critiques déjà postées sur cette formidable tribune sont elles-mêmes d'une qualité incroyable. Cependant en...

le 13 janv. 2015

12 j'aime

9