Du vertige des sommets à l’atterrissage forcé

François Kersaudy est un magicien. Il réussit à faire disparaître 880 pages de biographie à ses lecteurs en moins de deux semaines... Trêve de plaisanterie, j'ai trouvé cet ouvrage absolument passionnant. Les talents d'écriture de l'historien français sont époustouflants. En effet, parvenir à condenser autant d'informations sur la vie d'un personnage aussi extravagant qu'Hermann Goering tout en donnant l'impression au lecteur qu'il lit un roman... C'est prodigieux. Partant de ce constat, il est clair que je vais m'intéresser davantage aux publications de l'auteur et notamment à sa biographie de Winston Churchill. Voilà pour la forme, pour ce qui est du fond nous sommes en présence d'un personnage éminemment polémique puisque comme l'indique le titre de l'ouvrage il est le deuxième homme du IIIème Reich. Aussi condamnable soit-il (et il le fut), la vie de cet homme est passionnante : de ses débuts comme photographe aérien pour le renseignement allemand puis pilote pendant la première guerre mondiale, en passant par ses errances financières et familiales durant l'entre-deux guerres qui débouchent à son adhésion au NSDAP, jusqu'à son ascension fulgurante aux côté d'Hitler, tout est retranscrit dans le détail avec une érudition incroyable.


L'ouvrage est conséquent, il se découpe en plusieurs chapitres que l'on pourrait diviser en quatre grandes parties. La première partie (1893-1921) correspond à la vie d'Hermann Goering avant le nazisme : son enfance, sa passion précoce pour l'uniforme, la première guerre mondiale et ses faits d'arme en tant que pilote de chasse, sa femme et plus généralement sa vie de famille, la misère financière suite à la défaite de l'Allemagne, ses voyages entre Munich, le Danemark et la Suède pour trouver du travail notamment en tant que pilote de ligne dans le civil.


La seconde partie (1921-1939) correspond au retour de Goering en Allemagne, à Munich pour être précis, et sa rencontre avec l'orateur Hitler au Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP). On y découvre ce que l'on sait déjà, l'Allemagne humiliée cherche à se venger depuis la défaite en 1918. Ce parti, comme plein d'autres de même nature à ce moment-là en Allemagne, cherche à fédérer un sentiment nationaliste et antisémite autour de la misère de plus en plus grande de sa population. On découvre l'ancien pilote d'avion comme un jeune homme ambitieux et excellent dans deux domaines : le monde des affaires et la diplomatie. Dans le premier cas, il s'agit pour lui d'attirer des fonds pour assurer le développement du parti, dans le second cas il s'agit de donner une légitimité au parti dans la sphère politique allemande (qui n'a rien de nazi à ce moment-là) et dans les milieux mondains en Allemagne et en Suède (pays qui compte beaucoup pour Goering). On suit l'ascension de cet homme fantasque à l'esprit profondément chevaleresque sombrer petit à petit dans la violence avec la tentative de putsch à Munich en 1923 aux côté d'Hitler. Mais le tournant décisif est l'accession au pouvoir d'Hitler qui est nommé chancelier du Reich par le président Hindenburg en 1933, Goering devient le moteur de le répression idéologique du nazisme avec la création de la Gestapo en 1933 (qu'il va céder à Himmler), la nuit des Longs Couteaux en 1934, la création des premiers camps de concentration aux alentours de 1933 et bien évidemment les persécutions juives qui courent tout au long des années 30 jusqu'à la seconde guerre mondiale.


La troisième partie, vous l'aurez deviné, correspond à toute la période couvrant la seconde guerre mondiale (1939-1945). On retiendra principalement que Goering ne voulait pas la guerre. Il mettra tout en oeuvre pour dissuader Hitler et calmer le jeu avec l'Angleterre grâce à son sens affûté de la diplomatie. La raison première est que l'Allemagne n'était pas prête militairement à se lancer dans un conflit mondial. Goering aurait souhaité l'ouverture des hostilités en 1943, pas avant. La deuxième raison est plus triviale, Goering est devenu extrêmement riche. Sa fortune colossale, outre les pillages, il la doit au cumul déraisonnable, pour ne pas dire ridicule, des fonctions qu'il exerce au sein du IIIème Reich : ministre de l'aviation du Reich, ministre-président de la Prusse, Reichsstatthalter de Prusse, président du Reichstag, ministre des Forêts, ministre de l'économie du Reich, député au Reichstag. Bien sûr tout cela simultanément. Par conséquent, il n'a aucun intérêt à précipiter son pays dans une guerre mondiale. Une défaite lui ferait bien évidemment tout perdre car comme dit l'adage : "Bien mal acquis ne profite jamais". Hermann Goering est un jouisseur, un collectionneur d'art compulsif (art qui volera dans les musées d'Europe et aux juifs notamment), un homme amoureux de la chasse et des objets de valeurs. Il passera une partie non négligeable de la guerre loin du front dans ses nombreux domaines à profiter des biens accumulés compulsivement, entouré de ses proches. Cette personnalité baroque, extravagante dénote beaucoup avec l'homme politique sans scrupule qu'il était. Dans cette troisième partie, plus technique, François Kersaudy décrit les succès de l'armée allemande entre 1939 et 1942. Il se focalise bien entendu sur le rôle d'Hermann Goering dans ce conflit, ses rares coups d'éclat mais surtout son incompétence crasse dans les nombreux domaines qui lui incombent, sa soumission totale aux ordres insensés d'Hitler, puis sur la lente descente aux enfers à partir de 1943 avec l'invasion de la Russie, événement catalyseur de la défaite.


Enfin, la quatrième et dernière partie (1945-1946) relate le sort des vaincus à partir de mai 1945. Hermann Goering fuyant Berlin sous les assauts américains et russes, se réfugie à Berchtesgaden dans les Alpes bavaroises. Convaincu d'être une personnalité de premier plan, à la stature internationale il tentera de rencontrer Roosevelt pour négocier l'armistice, en vain. Il est arrêté par les américains puis transféré dans une prison au Luxembourg où il ne ressortira que pour être jugé au tribunal de Nuremberg, célèbre procès international qui durera un an. L'historien décrit avec minutie l'attitude de Goering durant toute la procédure et met en lumière sa loyauté intangible à Hitler, son agilité intellectuelle qui a mis en défaut à plusieurs reprises le procureur américain Jackson, sa tyrannie naturelle à l'égard de ses coreligionnaires nazis auprès desquels il va tenter d'orienter les discours de défense et surtout son incapacité à culpabiliser concernant l'ampleur des crimes dont il eût la responsabilité directe ou indirecte. Tout au long de l'ouvrage, Kersaudy dépeint la psychologie d'Hermann Goering avec finesse et pertinence mais c'est dans cet ultime partie qu'il brosse le portrait d'un homme sentimental avec les siens mais indifférent à la souffrance des autres. Cette conclusion permet de mieux appréhender l'articulation étonnante qu'il y a entre la banalité du quotidien, celle d'un homme presque comme les autres, pas nécessairement destiné à de tels crimes, avec l'horreur la plus absolue. Hermann Goering sera reconnu coupable et condamné à mort en 1946 pour quatre chefs d'inculpation : plan concerté ou complot, crimes contre la paix, crimes de guerres et crimes contre l'humanité.


En conclusion, je recommande fortement cet ouvrage du brillant historien François Kersaudy. L'écriture de haute volée réussit le tour de force d'allier plaisir de lecture, quasi romanesque, au sérieux d'un ouvrage historique sourcé et dense qui vous présentera sans fioriture excessive la vie d'un sybarite dont la vie privée détonne outrageusement avec sa vie publique et militaire. Pour tous les amateurs de la seconde guerre mondiale ou les curieux intéressés par le régime fasciste le plus tristement célèbre du XXème siècle, je vous enjoins à vous procurer cette excellente biographie.

silaxe
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le 25 juil. 2021

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