Icebreaker
6.6
Icebreaker

livre de Hannah Grace (2022)

Racine sur une patinoire de campus américain, avec du cul et sans alexandrins

L’été dernier, alors que je découvrais fébrilement la New Romance en suivant les arrivées en librairie et les conseils d’une collègue, j’avais lu Wildfire, de Hannah Grace, attiré par son pitch estival (une colonie de vacances) et sa couverture un peu niaise (ambiance teen movie régressive). Or, Wildfire était le tome 2 d’une série, Maple Hills ; je m’en suis rendu compte à l’énumération de noms de personnages interconnectés lors de la soirée de fin d’année qui ouvre le livre – pour ma défense, ça n’apparaît pas du tout sur la couverture et à peine sur la page de titre. Donc, un an après, séance de rattrapage. Icebreaker est une énième romance “phénomène best-seller BookTok” et tout ce que vous voulez, et ça m’intéresse de voir ce qu’elle a sous le capot.

Déjà, il faut mettre au crédit d’Hannah Grace de ne pas écrire toujours le même livre (ce que fait - très bien – Ali Hazelwood). Wildfire reposait sur le huis clos de la colonie de vacances et fonctionnait en fait assez indépendamment au sein de la série, alors qu’Icebreaker est une campus fiction américaine, dans la plus pure tradition, avec ses étudiant-es plein d’hormones, ses rivalités universitaires, et surtout, ses sports. L’intrigue repose sur l’opposition entre le hockey sur glace et le patinage artistique. Suite à la destruction mystérieuse d’une des deux patinoires de Maple Hills juste avant le début de la saison, Anastasia Allen, espoir du patinage, se retrouve à devoir côtoyer ses ennemis naturels, les hockeyeurs, à commencer par Nathan Hawkins, le capitaine de l’équipe, afin de se partager la glace. Horreur, malheur. Vous voyez venir le bon gros ennemies-to-lover qui tache ? Vous avez partiellement raison, car il est en fait assez vite évacué par l’autrice : il et elle tombent évidement amoureux, évidemment sans se l’avouer, évidemment en couchant beaucoup dans le processus.

La première partie du livre rappelle les situations tragiques classiques : Nathan est écartelé par le dilemme entre son amour fou pour Anastasia, et son honneur et sa responsabilité de capitaine vis-à-vis de son équipe. Bon, ce n’est Andromaque et Hannah Grace n’est pas Racine, mais on ne lui en demande pas tant et il y a plus que ça. C’est d’ailleurs peut-être un peu dommage, parce que c’est vraiment trop long, certains rebondissements sont de trop et on aurait pu abréger le tout de 80 bonnes pages. Mais. Autour de sa romance, l’autrice met en place un certain nombre de personnages secondaires (loi de sérialité) assez réussis, notamment l’équipe de hockey : JJ et Robbie, Russ (le héros de Wildfire), Henry (héros du tome 3). Les ressorts psychologiques et psychanalytiques mobilisés ne sont pas les mêmes que dans le 2, à l’exception d’inévitables quoiqu’assez légères daddy issues, et il y a même un joli chapitre de thérapie (21). Il y a par moments de jolies formules, comme “mon cœur a fait un truc bizarre dont je n’ai entendu parler que dans les livres. Un mélange de bruits sourds et de palpitations, le genre qui m’a fait me demander s’il allait continuer à fonctionner correctement” (p. 210) ; il y a même un zeugma : “Tu as l’odeur du McDonald’s et des regrets” (p. 372 ; certes pas le zeugma du siècle, mais quand même). Et Hannah Grace a de l’humour (“J’admire vaguement les hauts plafonds et la lumière naturelle. Bla-bla-bla. Toutes les choses qu’on est censé commenter quand on est dans une belle maison”, p. 314) et conscience de la matière et des clichés qu’elle manie (“... jusqu’à son pantalon de survêtement. Pantalon qu’il a gris, évidemment, parce que Nathan Hawkins a tout d’un homme écrit par une femme”, p. 397).

Il faut quand même dire qu’il y a beaucoup de scènes de sexe très graphiques, ma foi engageantes, mais qui classent ce livre, me semble-t-il, dans une autre sous-catégorie au sein de la New Romance que les comédies romantiques d’Hazelwood. Là, on est vraiment proche de la littérature érotique pour post-ados. Elle fait dire à son personnage Anastasia : “Ce n’est pas du porno. C’est un roman érotique qui contient un peu de sexe” (p. 358). C'était donc ça ! Dont acte.

antoinegrivel
6
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Créée

le 11 juil. 2025

Critique lue 25 fois

Antoine Grivel

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