Union Carbide, industriel chimique US majeur, trouva en Inde un accueil politique favorable à l'installation d'une usine de pesticide destiné aux agriculteurs chroniquement accablés par les invasions d'insectes "parasites". Un complexe consacré à une fabrication en très grande quantité fut construit en 1972-1974, et ne devint jamais rentable ; aussi la direction américaine laissa l'installation se déliter en vue de la démanteler ultérieurement. Hélas, les réductions d'effectifs, leur remplacement par des ouvriers peu qualifiés pour l'entretien et la surveillance, l'abandon des TROIS systèmes de sécurité de l'usine (qui n'empêchaient même pas les "incidents" dans l'usine située sur le sol américain), aboutirent à l'ultime accident d'une série, le trois décembre 1984. En plus des milliers de morts asphyxiés dans la nuit, des centaines de milliers de survivants ont gardé de graves séquelles le reste de leur vie déjà précaire, et de nombreux pauvres ont continué à vivre sur le site pollué, près de l'usine "inactive" toujours présente, assurant un empoisonnement sur des générations.


https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/bhopal-la-tragedie-sans-fin-8758112

Excellent programme incluant des archives d'époque, dans lequel Javier Moro est invité, et, dans lequel il est précisé que les autorités indiennes ont décidé de maintenir l'usine les deux dernières années contre l'avis de la direction américaine, et que le directeur chimiste fut remplacé par un financier. Les multiples accidents précédents sont mentionnés aussi.

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p.120 ''selon le plan d'aménagement établi par la municipalité, aucune industrie émettant des rejets toxiques ne pouvait être implantée dans des sites ou les vents dominants risquaient de rabattre ces effluents sur des zones fortement habitées. C'était le cas de l'esplanade noire ou les vents habituels soufflaient du Nord vers le sud, c'est-à-dire vers les bastis (bidonvilles), puis vers la gare, et enfin vers les quartiers surpeuplés de la vieille ville. En toute logique, la demande présentée aurait du être rejetée. Mais les envoyés d'Union Carbide s'étaient bien gardés de mentionner dans leur dossier que les pesticides de leur future usine seraient fabriqués à partir des gaz les plus toxiques de toute l'industrie chimique.''

Même si elle emploiera des ingénieurs indiens formés dans le complexe US, l'usine indienne sera moins élaborée. Les six premières années jusqu'en 1980 (p.142), l'isocyanate de méthyle (MIC), qui bout à 39 degrés, explosif au contact de l'eau, sera importé par bateau et transporté en camion pendant deux jours sur 850 km à travers villes et champs jusqu'au centre du pays.

''Des milliers d'ouvriers partout dans le monde se trouvaient en contact quotidien avec d'autres isocyanates cousins du MIC , pour la fabrication d'innombrables produits à base de mousses synthétiques, tels que les panneaux isolants, les matelas, les sièges d'automobiles.'' Eduardo Munoz, représentant de commerce pour la boîte, '' se rendit chez bayer, en Allemagne, et à l'usine française de la Littorale, près de Béziers. Les deux usines manipulaient du MIC. ''Tous les spécialistes j'ai rencontrés ont sauté au plafond quand je leur ai dit que nos ingénieurs prévoyaient d'entreposer 100 ou 120 000 litres de MIC dans les cuves de la future usine de Bhopal, racontera Munoz. (...) ''vos ingénieurs sont tombés sur la tête. C'est une bombe atomique prête à exploser qu'ils vont placer au beau milieu de votre usine.'' (leur usine sur le sol US entrepose déjà les mêmes quantités )

Chapitre 17 Sanjay Gandhi, fils de la première ministre, fait détruire des bidonvilles et déporter des millions de miséreux ; mais ceux qui vivent de l'autre côté de la voie ferrée ne se laissent pas évacuer.

p.94

"La zone industrielle désignée par le gouvernement était une vaste esplanade située à 2,5 km du centre de la ville, à un km à peine de la gare centrale. (...) La couleur sombre du sol expliquait que l'endroit s'appelait Kali Grounds, l'esplanade noire. Mais l'appellation avait peut-être aussi pour origine la couleur du sang dont la terre était gorgée. C'était en effet ici que, devant des milliers de spectateurs, les bourreaux du royaume tranchaient d'un coup de sabre la tête de ceux que la sharia islamique avait condamnés à mort."

p.161 En 1975, des vaches meurent empoisonnées par l'eau des puits contaminés par l'usine.

p.186 en 1978, un incendie fait retomber des particules toxiques sur la ville.

p.192 le premier ministre Arjun Singh, dans un calcul électoral, accorde aux habitants des bidonvilles jouxtant l'usine la propriété de leur sol.

p.197 le 23 décembre 1981, un an après la mise en fonction complète de l'usine (l'isocyanate sera désormais fabriqué sur place), Mohammed Ashraf meurt empoisonné par une fuite de phosgène.

p.200 deux syndicalistes mettent en cause les dysfonctionnements de l'usine, Shankar Malviya et Bashir Ullah. Ils sont licenciés.

p.201 le 10 février 1982, 25 ouvriers sont hospitalisés d'urgence à cause d'une autre fuite de phosgène. Le 5 octobre, une fuite de MIC provoque une évacuation du personnel.

p.211 en mai 1982, un rapport d'ingénieurs américains énumère une masse de dysfonctionnements. Le journaliste Rajkumar Keswani sonne l'alerte dans son premier article paru le 17 sept 82, et continuera Il réclamera en vain la fermeture de l'usine, s'adressant même au premier ministre Arjun Singh et envoyant une pétition au président de la cour supreme. Finalement, il abandonne et ferme son journal pour partir travailler ailleurs.

Lorsque la catastrophe se produisit, la direction US avait choisi de laisser partir l'usine, non rentable, à vau-l'eau. Le nombre d'employés avait été réduit quasiment de moitié, ils n'étaient plus correctement formés aux procédures d'entretien et plus aucun système de sécurité ne fonctionnait, en pleine connaissance de cause !

p.413 ''le 28 mars 1995, une fuite d'oxyde de méthyle sur le site d'Institute, aux USA, intoxica gravement 8 ouvriers. Le 11 août, une autre fuite, dans un réservoir stockant de l'oxyde d'aldicarbe, faisait 135 victimes parmi les habitants de la Kanhawa Valley. ''

p.380 le professeur Mishra qui coordonne les secours à l'hôpital Hamidia refuse de croire les médecins légistes qui transmettent leurs soupçons d'empoisonnements à l'acide cyanhydrique, qui auraient pu être soignés au thiosulfate de sodium (Le fixateur des photographes).

Le médecin et le directeur de l'usine de Carbide (Jagannathan Mukund) n'ont jamais informé, ni avant ni alors, de la nature des substances chimiques, les plus toxiques créées à ce jour, qu'elle répandit.

Le directeur d'union carbide, Warren Anderson, disparut dans la nature. Warren Woomer, qui avait supervisé la construction du site indien, continua à vivre près du site US.

Les habitants des bidonvilles jouxtant la voie ferrée et l'usine ont continué à boire et à utiliser une eau contaminée au plomb, mercure, cuivre, nickel...

p.374 "Sous le grand tamarinier du Kamla Park, l'étroit jardin qui sépare le lac supérieur du lac inférieur, un sadhu assiste impassible à la débandade tragique des cohortes fuyant le nuage mortel. Tout au long de cette nuit de folie, le Naga Baba, le saint nu comme l'appellent les Bhopalis, est resté assis les jambes croisées dans la position du lotus. Il vit là depuis trente-cinq ans, depuis qu'un samadhi de cinq jours, un exercice spirituel qui consiste à se laisser enterrer vivant, a fait de lui un saint homme. A demi nu, le corps couvert de cendres, (...) passe ses journées en méditation"

"Rattrapés par de petites bulles de monométhylamide et de phosgène que la brise pousse à hauteur d'homme, des dizaines d'hommes et de femmes aux poumons dilatés par leur course s'écroulent asphyxiés autour de lui. Habitué par ses exercices d'ascèse à ne respirer qu'une fois toutes les trois ou quatre minutes, le Naga Baba n'inhale pas les vapeurs du nuage qui passe. Il sera le seul survivant de Kamla Park."

(écrit en décembre 2023)

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le 12 janv. 2024

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