Je me bats contre des idées dont je ne suis même pas sûr qu’elles existent (Antoine Waechter)


Si vous êtes intéressés (même en cachette, on vous voit) par le parcours intellectuel de Houellebecq, Interventions 2 complètera utilement votre panorama, et même si certains des articles contenus dans le recueil datent un peu, vous y trouverez absolument tout son matériau littéraire, disons, d’origine, mais en vrac.


Pas d’homogénéité dans les textes choisis, ni de logique autre que calendaire dans leur classement, mais deux filons lumineux servant de guide au lecteur : le cynisme jubilatoire et l’humour.


Une trentaine d’articles écrits par MH donc, sur une période de seize ans, dont certains assez fouillés, jamais fouillis. Pas question de tous les aborder ici, mais un rapide aperçu :


Prévert est un con (article de 1992). Si Jacques Prévert écrit, c’est qu’il a quelque chose à dire, c’est tout à son honneur. Malheureusement ce qu’il a à dire est d’une stupidité sans bornes. Il est avant tout un libertaire ; c’est à dire, fondamentalement, un imbécile,


L’architecture contemporaine (1992) est une architecture modeste, elle construit des rayonnages,


L’être humain parle, parfois il ne parle pas : superbe éloge du cinéma muet, pour Les Lettres françaises, en 1993.


La fête (article de 1996) dont le but serait de nous faire oublier que nous sommes solitaires, misérables et promis à la mort, autrement dit de nous transformer en animaux. C’est pourquoi le primitif aurait un sens de la fête très développé. A l’opposé, l’Occidental moyen n’aurait pas du tout le sens de la fête, profondément conscient de lui même, étranger aux autres, terrorisé par l’idée de mort, la perte de sa condition animale l’attristerait : il aimerait être un fêtard. Et MH d’explorer ce qui pourrait bien servir de justification aux occidentaux pour se réunir.


Un article sur la littérature qui ne sert à rien (pour la Nrf en 2002). Si elle servait à quelque chose la racaille gauchiste qui a monopolisé le débat intellectuel au XXe siècle n’aurait pas pu exister. Marxistes, existentialistes, anarchistes et gauchistes ont pu infecter le monde comme si Dostoïevski n’avait jamais écrit une ligne. Ont-ils au moins apporté une idée, une pensée neuve par rapport à leurs prédécesseurs du roman ? Pas la moindre. Siècle nul qui n’a rien inventé.


Un autre sur les souffrances de l’homme de gauche ou sur la semi-réhabilitation du beauf (2003), dit beauf incomplet (dont les célèbres Guy Bedos et Cabu). Pour le beauf incomplet, toutes les religions se valent, et si pour lui toutes les religions se valent c’est qu’il est incapable de faire la différence, il saura, tout au plus, distinguer les costumes. Incapable de discerner clairement les religions, il sera encore moins capable de les juger.


Un de 2008 pour les gencives de Robbe-Grillet : son travail une compilation fastidieuse et vide de sens de données expérimentales. N’est-ce pas, très exactement ainsi que l’on pourrait décrire la littérature de Robbe-Grillet ?


Et d’autres articles de qualité variable sur Neil Young, Pasolini, le positivisme, les touristes allemands, la poésie, Philippe Muray, la question pédophile, l’Art contemporain, la littérature, le clonage, le féminisme..


Autant la tentative de copulation de MH avec l’inénarrable BHL dans Ennemis publics puait la soupe froide et pécuniaire, autant nous avons là une synthèse à peu près complète et acceptable de la mythologie houellebecquienne, qui n’ambitionne rien que de s’attaquer à d’autres mythologies, comme celles de la sacro-sainte sociologie du XXe siècle, de l’art contemporain ou encore du pseudo-renouveau littéraire du même (siècle). Rien de grave donc.


En fait si, ce fut grave. Lorsqu’il sortit en 2009, cet enfilement chronologique d’articles n’eut pas l'heur de plaire à certains organes juchés du bon côté (comme le NouvelObs de l’époque, mais pas que), non par une opposition d’arguments de fond (c'eût été intéressant et légitime), mais parce qu’il y a des choses qui ne peuvent se dire et encore moins se penser dans le nouveau monde éthéré-propre-sur-lui. Lorsque MH considère les nouvelles féministes comme d’aimables connes gâchant l’immense travail de leurs ainées (article visionnaire de 1998) ou que la littérature du XXe n’arrive pas qualitativement à la cheville de celle du XIXe, il ne fait que déballer sa propre mythologie en réponse aux mythologies des autres, tel le reflet inversé du miroir. Il fait son boulot d’écrivain, mythologie contre mythologies. Pas de quoi flipper. Si ?


282 pages d’humanisme, chez Flammarion.

-Valmont-
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le 17 avr. 2019

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amandecherie
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Critique de Interventions 2 par amandecherie

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