Isolation
7.7
Isolation

livre de Greg Egan (1992)

Tout ce que nous aurions pu être...

« Isolation », premier opus du « Cycle cosmologique subjectif » de Greg Egan, a les défauts que l'on peut attendre de la plupart des romans labellisés "hard science": un style un peu froid, des explications scientifiques qui peuvent vite devenir envahissantes et un intérêt somme toute limité pour les personnages. Il faut accepter le fait que l'on est devant de la littérature d'idées. Et de ce côté là, Egan assure. Méchamment même.


Tandis que Nick, le héros, plonge toujours plus profondément dans l'équanimité parfaite offerte par ses mods, nanomachines pouvant câbler le cerveau humain dans à peu près n'importe quelle configuration, le lecteur ne peut s'empêcher de ressentir un certain malaise, une envie jalouse ou un mélange pervers des deux: tout est possible, à condition de cibler les bons neurones. L'Homme peut se recréer à l'envi, se connecter à toutes les sources d'information imaginables, supprimer les sentiments qu'il juge inutiles, asservir ses semblables ou les libérer du vide de leur existence. Le mod devient source de plaisir infini, nouvelle théorie de l'évolution à l'échelle d'une vie, nouveau Dieu de synthèse. Le héros semble ainsi s'affadir mais pose toujours les bonnes questions, celles qui forceront le lecteur à interroger sa propre notion d'humanité.


Mais cela n'est encore rien comparé à ce qui rend le roman totalement unique et vertigineux: la maitrise des lois quantiques. Cette fois, tout devient possible à un niveau universel. Le mod ultime... Je ne saurai trop vous conseiller de lire un ou deux livres de vulgarisation quantique avant d'aborder « Isolation ». Même sans cela, la compréhension restera possible, mais vous passerez à côté de ce vertige qui étreint celui qui constate l'horrible cohérence des ambitions d'Egan. Jamais je n'aurais cru qu'un livre de fiction irait aussi loin dans l'exploration de la nature physique de la réalité, non pas en usant de poésie ou de spiritualité, mais bien en explorant systématiquement, jusqu'à la folie, tous les chemins sous-entendus par la théorie quantique moderne. Les voies de l'être sont innombrables, toute chose est à la fois une et multiple.


Je suis devant mon clavier en train d'écrire ce foutu compte-rendu et je me rends compte que je ne peux pas vraiment partager avec vous la puissance de ce que j'ai ressenti.


Je voulais écrire un foutu compte-rendu mais, me rendant compte de l'impuissance de ma prose à partager efficacement mes impressions de lecture, j'ai plutôt décidé de mater le DVD d'Insidious 2.


Je crois que je passe trop de temps sur Senscritique. Je comptais écrire un compte-rendu de lecture sur "Isolation" de Greg Egan, mais je préfère plutôt rendre visite à un pote et partager avec lui une bouteille de whisky en parlant amèrement de tout ce que nous aurions pu être, si seulement...


Devant mon clavier, je suis soudain pris d'une irrésistible envie de téléphoner à cette amie et de lui dire, qu'en fait, j'ai toujours été amoureux d'elle, depuis le premier jour.


Je ne me suis jamais inscrit sur Senscritique. Ni même Facebook, Youtube et toutes ces conneries qui nous bouffent des heures et des jours et des mois d'existence. J'habite dans un petit village perdu dans les contreforts de l’Himalaya et je me contente de levers de soleil qui valent tous les livres, les films et les musiques dont vous pourrez jamais rêver.


Je suis en lévitation à 50 mètres au-dessus de l'Océan Indien, à mi-chemin entre la côte ouest de l'Australie et les franges sud de l'Indonésie. Des masses d'eau se soulèvent dans un concert orgiaque, se cristallisent en un palais de glace qui s'élève à ma rencontre, à la conquête de l'espace et des étoiles.


Tous ces « je » existent selon des taux de probabilité très différents, mais ils existent. La banalité de notre quotidien ne doit pas nous faire oublier les miracles qui meurent à chacun de nos abandons.

Amrit
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes , Les meilleurs livres de science-fiction et 108 livres qu'il faut avoir lu (en construction...)

Créée

le 11 janv. 2014

Critique lue 1.1K fois

15 j'aime

7 commentaires

Amrit

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

15
7

D'autres avis sur Isolation

Isolation
Amrit
9

Tout ce que nous aurions pu être...

« Isolation », premier opus du « Cycle cosmologique subjectif » de Greg Egan, a les défauts que l'on peut attendre de la plupart des romans labellisés "hard science": un style un...

le 11 janv. 2014

15 j'aime

7

Isolation
nm-reader
7

Délire quantique

S'il est vrai qu'on ne sait que relativement peu de choses sur Greg Egan, il est néanmoins avéré qu'il est diplomé de mathématiques et programmeur informatique, et cela ne saurait guère surprendre...

le 9 août 2013

12 j'aime

1

Isolation
aym06
10

En quarantaine

En attente d'une critique plus personnelle, extraits trouvés par ailleurs qui reflètent ce que j'en ai pensé. Ou plutôt, ce que mon moi étalé en une infinité de possibilités alternatives en a pensé...

le 24 juin 2012

7 j'aime

2

Du même critique

Lost : Les Disparus
Amrit
10

Elégie aux disparus

Lost est doublement une histoire de foi. Tout d'abord, il s'agit du sens même de la série: une pelletée de personnages aux caractères et aux buts très différents se retrouvent à affronter des...

le 8 août 2012

230 j'aime

77

Batman: The Dark Knight Returns
Amrit
9

Et tous comprirent qu'il était éternel...

1986. Encombré dans ses multivers incompréhensibles de l'Age de Bronze des comics, l'éditeur DC décide de relancer la chronologie de ses super-héros via un gigantesque reboot qui annonce l'ère...

le 3 juil. 2012

98 j'aime

20

The End of Evangelion
Amrit
8

Vanité des vanités...

Après la fin de la série, si intimiste et délicate, il nous fallait ça: un hurlement de pure folie. La symphonie s'est faite requiem, il est temps de dire adieu et de voir la pyramide d'Evangelion,...

le 21 juil. 2011

91 j'aime

5