Endeuille de confusions et d'interrogations.
Dans une Amérique raciste, Lee Anderson n'est pas un noir comme les autres. Avec sa peau très claire et ses cheveux blonds, il passe facilement pour un blanc. Un atout dont il va se servir pour faire des rencontres et gagner les jupons d'une élite, symbolique de la mort de son frère. Se profile alors une vengeance minutieusement orchestrée et machiavélique qui ne sera pas sans risques.
L'histoire n'y va pas par quatre chemins mais se permet quand même des embranchements plutôt denses. Vernon Sullivan pointe du doigt, à travers un héros manipulateur, la crédulité d'une jeunesse paumée dont il est facile d'abuser. Il montre que le jeu de séduction peut être un rapport de puissance. Il fustige une xénophobie où la violence trouve sa réponse dans la violence. Il tacle aussi le monde littéraire, où des gens achètent des livres juste pour se vanter de les avoir lus.
Un programme ambitieux et alléchant que les galipettes sexuelles de Lee, sur-détaillées vont bafouer. Sous forme de compte rendus exhaustifs, l'auteur s'évertue inutilement à répéter que le sexe est autant un moyen de détente pour son personnage qu'une façon de ramper vers son but. Le dire une fois aurait amplement suffit. Ou de façon moins pompeuse. Un propos bien mieux illustré dans Bel-Ami de Maupassant.
Ce penchant maladroit et provocateur étouffe le reste. Vian n'insiste malheureusement sur rien d'autre. La haine raciale n'aura le droit qu'à quelques répliques de la famille Ashquith. Les apparitions de Tom et le souvenir du gosse, éléments centraux de la revanche, sont traités à la va-vite. Pour décrire le traumatisme de Lee, l'écrivain mentionne que celui-ci fait des cauchemars sans jamais les expliquer. Très peu d'informations sont données sur les adolescents qui l'entourent.
Un autre effet pervers de ce cafouillage est que l'intensité et l'émotion tardent beaucoup trop à s'installer. Elles ne manifestent leur présence que sur les 40 dernières pages, où la narration s'emballe et va enfin à l'essentiel. C'est dommage car elle se révèle tout à fait capable de capter l'attention.
L'ensemble ne sera pas aidé par la plume du romancier, particulièrement laconique et impersonnelle. C'est brut mais il n'y a pas de vivacité. Il n'y a pas de piquant ou de mordant. Aucun passage ne restera en mémoire. L'utilisation intéressante de la première personne puis de la troisième personne est toutefois à signaler. Mais dans ces conditions, difficile de s'attacher à cet homme brûlé par un désir de vindicte.
Le méli-mélo se termine et embrouille le lecteur. Il y avait pourtant un vrai potentiel. Boris Vian est quelqu'un de talentueux alors pourquoi diable s'est-il emmêlé les pinceaux ? Était-il conscient de tous ces écueils? Quelle était sa démarche exacte? Qu'a t-il vraiment cherché à dire?
Comme il est mort, ces questions ne trouveront jamais une réponse. Les plus contrariés, et il y en a quelques-uns ici, pourront toujours aller cracher sur sa tombe.