Huit ans après le succès retentissant de "Petit Pays", Gaël Faye fait son retour en librairie avec "Jacaranda", un roman qui pose un regard intimiste sur la région des Grands Lacs, et plus particulièrement sur le Rwanda dont sa famille maternelle est originaire et où il vit aujourd'hui. Dans cette œuvre, l'auteur choisit délibérément de situer son action après 1994, évitant ainsi une confrontation directe avec le génocide. C'est à travers le regard d'un enfant métis, fils d'une exilée ayant quitté le Rwanda dans les années 70, que nous découvrons les dynamiques complexes qui animent cette région.
Le roman a le mérite d'inscrire le drame de 1994 dans un contexte historique élargi et jamais caricatural. Faye reconnaît avec lucidité tant les responsabilités du colonisateur que celles des Rwandais qui ont exacerbé des tensions artificiellement créées, menant à des luttes fratricides jusqu'au milieu des années 90. Cette quête identitaire se dévoile progressivement au fil d'entrevues et de discussions au coin d'une lampe à pétrole, révélant peu à peu les liens qui unissent les personnages de cette fresque à la fois historique et familiale.
La galerie de personnages, bien qu'attachante par moments, souffre d'un certain manque de profondeur. Malgré le vécu qu'on leur prête, leurs contours sont parfois dessinés de manière trop appuyée, comme s'ils n'existaient que pour illustrer le propos de l'auteur. Les destins s'entremêlent avec une évidence qui dissipe toute surprise, ne laissant que peu de place à l'inattendu ou à la confusion qu'on pourrait légitimement attendre des situations décrites.
Si l'écriture de Gaël Faye reste agréable et accessible, elle ne parvient toutefois jamais à transcender son récit. Sa capacité à raconter des événements terribles avec des mots simples est indéniable, mais certains procédés stylistiques, comme l'usage répété de phrases courtes pour souligner l'aspect douloureux du sujet, finissent par devenir trop visibles. Les passages didactiques, notamment la lecture du devoir de Stella ou le discours d'Eusébie, servent de prétextes un peu maladroits à de longues explications historiques (même s'ils sont mieux amenés que la pénible digression hallucinatoire de "Frappe l'épopée" d'Alice Zeniter).
En définitive, c'est la puissance du sujet abordé qui porte le roman. Le contexte tragique permet à Faye de générer une histoire efficace sur laquelle il peut porter un regard particulièrement lucide, nourri par son histoire personnelle. Si la forme peut parfois sembler convenue, le fond finit par l'emporter, happant le lecteur dans une réflexion profonde sur l'histoire du Rwanda et ses répercussions individuelles.
"Jacaranda" s'impose ainsi comme un témoignage important sur une période trouble de l'histoire rwandaise et plus largement africaine, même si, d'après moi, ses qualités littéraires ne le hissent pas au rang des grandes œuvres du genre. La sincérité du propos et l'engagement de l'auteur compensent largement les quelques faiblesses narratives, offrant aux lecteurs une plongée émouvante dans la complexité des relations humaines en temps de conflit et de reconstruction.