On ne se mêle pas des affaires des autres

Jean de Florette, premier volume d'une histoire qui s'achèvera le second tome Manon des Sources, est un roman terrible que ne renierait pas un Giono pour la peinture cruelle de la paysannerie provençale proposée, cependant contrebalancée par l'amour profond que portait Marcel Pagnol pour les collines de son enfance.


Sous sa plume ressuscitant le parler provençal chantant, Pagnol se raccroche à la moindre branche - d'olivier, bien entendu - pour digresser sur le chant des sources irriguant les vallons, les pinèdes denses qui à l'époque n'avaient pas connu les incendies déclenchés par d'innocents boyscouts (il leur en veut de toute évidence), ou pour encapsuler l'histoire truculente d'un Pique Bouffigue dans la destinée tragique de Jean Cadoret. Ce bossu, aussi courageux qu'inconscient, instruit au point d'être dédaigneux du savoir faire ancestral, vient jouer au paysan sur des terres que d'autres convoitaient - l'Ugolin parpelégeant et le Papet ricanant - et qui le laisseront échouer pour mieux s'emparer de ses terres...


A relire Jean de Florette, je me suis encore surpris à espérer benoîtement que la destinée de ce bossu - trop philosophe et trop confiant dans le savoir des livres - allait changer, que son entreprise allait réussir et que la petite Manon ne pousserait jamais un cri de lièvre emporté par une buse... J'ai également redécouvert toute la subtilité du personnage pourtant rustre d'Ugolin, portant déjà les stigmates d'un scrupule noyé dans son rêve de richesse, qui deviendra un remord implacable par la suite. Et comme toujours, en relisant Pagnol, que ce soit à voix haute ou nichée dans le creux de ma cervelle, ma voix avait l'accent (prononcer "l'assent").


On pourrait reprocher à Jean de Florette une intrigue finalement maigre s'éternisant sur la fortune contrariée d'un citadin prétentieux. Ce serait ignorer la beauté simple de l'écriture de Marcel Pagnol, alliant gravité et légèreté, aménageant toujours quelques passages ravissants qui prêtent à sourire. Et pourtant... Il n'y a pas que le marbre d'un théâtre antique pour raconter une implacable tragédie, le marne, le calcaire et la bauxite des collines forment une scène tout aussi grisante.

Hypérion
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le 29 déc. 2013

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Hypérion

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