Si vous n'étiez pas certain du talent de Stephen King quant à sa façon de manier vos sentiments et d'en faire des émotions fortes, avec Jessie (ou Gerald's Game) vous ne pourrez plus jamais le nier. Et si je vous faisais faire un petit tour des ressentis qui sauront vous retourner la tête et vous tordre les boyaux (à moins que vous ne soyez suffisamment antipathique pour penser que l'atouchement sexuel incestieux et sur sur mineur de surcroît ne soit pas aussi destructeur qu'un viol) ?


Ce roman est énervant. Quoi de plus exaspérant que de voir que les problématiques de non-consentement à l'acte sexuel dans un couple, qui sont le fondement de cette intrigue, sont toujours d'actualité aujourd'hui. Jessie t'a dit "Non", connard, alors c'est "Non", point barre. Cette relation de pouvoir qu'exerce Gerald sur sa femme, cette banalisation de la domination masculine, tout ça mène au viol. Eh oui, même si c'est sa femme, même s'ils s'aiment, si elle ne veut plus être attachée au lit par ces menottes de flics, alors son mari doit la détâcher, c'est la règle.


Ce roman est déconcertant. Depuis son enfance, Jessie est mentalement accompagnée par diverses voix aux fausses allures de Jiminy Cricket. Si on la croit simplement folle, au début, on comprend progressivement que c'est un mécanisme de défense qu'elle a créé après au traumatisme que personne ne peut parfaitement comprendre sans l'avoir vécu. En se dédouble psychiquement. Mais ça a aussi des bons côtes : elle pèse plus facilement le pour et le contre, invoque le démon et l'ange. Il s'agit finalement de différentes parties d'elle-mêmes qui font se rencontrer et collaborer (ou se battre) son passé et son présent.


Ce roman est effrayant. Encore une fois, le maitre de l'horreur joue avec nos nerfs en frôlant le fantastique. Jessie est-elle victime d'hallucination ? est-elle en train de rêver ? ou bien y a t-il réellement quelque chose qui cherche à lui nuir, à la voir mourir dans le noir de la nuit tombante ? Mais non, ce ne sont que des ombres, des idées... A moins que ce ne soit la réalité ? Difficile de savoir et en cela l'auteur rend le personnage de Jessie parfaitement accessible. Comme quoi, pas besoin d'un roman à la première personne du singulier pour s'identifier au protagoniste, il suffit de rentrer suffisamment profond dans son esprit.


Ce roman est malaisant. L'intrigue secondaire, si je puis dire, alimente la torture du personnage. C'est cette intrigue secondaire qui rend cette lente agonie plus longue que nature et qui pousse certains à dire "Il ne se passe rien dans ce roman, c'est mou". Bah oui mais... elle est seule, au milieu de nulle part, attachée à un lit, prisonnière. Que voulez-vous qu'il se passe de plus ? Déjà qu'un chien affamé est de la partie, on va non plus ameuter des touristes ou je ne sais quoi de pas crédible. Ce qui torture Jessie, c'est son passé refoulé, celui qu'elle a inconsciemment oublié après un traumatisme qui résonne avec l'actualité. Ce sont ses relations avec les membres de sa famille, son enfance, une période de sa vie qui lui a fait beaucoup de mal et qui sans doute se répercute sur son présent, là, dans cette chambre avec son lourdeau de mari. C'est bouleversant de précision. Triste à pleurer (mon oreillé s'en souvient). Et vous le savez aussi bien que moi, penser peut provoquer autant de malheur qu'un accident de voiture mortel.


Ce roman est écoeurant. Les détails sordides, l'hémoglobine, la chaire, la survie ! Dès le début du roman l'ambiance lourde ne présage rien de bon, c'est sûr. Mais je ne m'étais pas spécialement imaginé lire des lignes qui me dégouteraient au point d'en ressentir des gargouillis dans le ventre, un peu comme un poignard qu'on enfonce et qu'on tourne et retourne. C'est la recette spécial de King qui fait son petit effet.


Ce roman est terriblement réaliste, et je pèse mes mots. Terriblement, parce que c'est si probable que ça en fout les jetons ! Cette histoire m'a vaguement rappelé une novella du King, Grand Chauffeur (dans le recueil Nuit noire, étoiles mortes), publiée bien plus tard, en 2010. Une femme qui se bat, qui n'abandonne pas, malgré ce qui lui tombe dessus soudainement. C'est un grand récit de femme que porte Stephen King dans ce roman, parce que le "sexe faible" est admirable tant il sait aussi se battre. "...le temps où elle obéissait au doigt et à l'oeil à un homme est révolu."


Pour finir, je dirais que ce roman pousse la psychologie du protagoniste jusqu'au bout en adoptant une narration à cheval entre l'omniscience et l'introspection privée. L'auteur prouve qu'il est même capable de se mettre à la place d'un chien errant (bon, même s'il y a quelques comportements/pensées qui sont anthropomorphiques, ça reste assez bien imaginé). Pour le catégoriser, je dirais qu'il s'agit d'un thriller psychologique à huit-clos où l'action (dans le sens de mouvement et d'acte) est dérisoire et secondaire jusqu'à la 300e page, jusqu'à ce que l'urgence et la folie menacent Jessie et la contraignent à agir. Ici, ce sont les cinq sens du lecteur qui sont sollicités tout au long du récit.


J'ai une petite réserve sur les derniers chapitres, ceux du retour à la vie "normale" qui lancent une troisième et dernière intrigue. Mais je dirais que, pour une fois, je suis contente de la fin.

abauteure
9
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le 28 janv. 2021

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