Pour s'initier à l'initiation ?

Ils les aiment, les Teutons, leur bildung.

Jeux africains est un roman publié par Ernst Jünger en 1936 qui, mettant en scène le jeune Allemand Berger en pleine escapade du lycée pour aller rejoindre la Légion et atteindre ainsi l'Afrique de ses fantasmes, s'inscrit en plein dans le genre très goûté durant le premier XXe du récit d'initiation.

On y suivra, dans une coutumière focalisation interne à la première personne sur un narrateur un peu vieilli, la découverte de la compagnie des hommes et surtout de la banalité du quotidien à travers la traversée progressive de Dijon, de Marseille, d'Oran, de Sidi-bel-Abbès par un jeune personnage nourri des souvenirs personnels de Jünger. Notre héros navigue de casernes anarchiques en fuites interrompues et découvre, tout le long du chemin, qu'un tas de cailloux restera ultimement un tas de cailloux, fut-il déposé au bord d'un chemin algérien.

Bien que le roman reste assez attendu dans son déroulé et sans grand effet de manche, tant dans le style que dans la composition, sa lecture est rapide, agréable, impliquante. Jünger sait avec beaucoup de talent faire fondre au sein d'un fil rouge constamment maintenu les différentes sous-épreuves que constituent les rencontres avec les personnages initiateurs, donnant à la trajectoire de son jeune héros une crédibilité, une douceur, et une amertume finale franchement bien rendues ; et ce en dépit de l'artificialité et de la répétitivité normalement présentes dans le bildung.

Il faut tout de même noter qu'Ernst Jünger, comme dans un certain nombre de ses récits pourtant très incarnés, parvient à ajouter une dimension symbolique, poétique, qui fonctionne à merveille et qui vient arracher un souffle un peu plus grand à la carcasse fatiguée de son jeune soldat itinérant. Ce symbolisme s'exprime ici à travers les visites nocturnes d'une sorte de fée protectrice qui parvient à aider le personnage à trancher entre les illusions de l'enfance qui le trompent et la sécheresse de la réalité qu'il rejoint, dans une opposition jour – nuit et un jeu sur la déception assez intéressant.

La dernière page est laconique, économique, efficace, très roman moderne. On ne découvre rien de très neuf dans ce Jünger mais c'est une bonne halte.