Des guerres civiles africaines, les médias occidentaux nous donnent des aperçus brefs dans l'actualité, commentant de temps à autre un élément particulier dans ce qui semble, bien malheureusement, être devenu un fait routinier. Combats par çi, exode de population par là, visite d'un camp de réfugiés du HCR de tel ministre européen un jour, coup d'état d'un nouveau président autoproclamé le lendemain. Jamais, jusqu'à la lecture de ce formidable roman d'Emmanuel Dongala, les conflits civils opposants des clans ethniques d'un même pays n'avaient été si palpables, si réels.

Laokolé et Chien Méchant ont tous deux seize ans, et vivent dans un Congo en proie à une terrible guerre civile. La première fuit sur les routes avec sa mère, amputée des deux jambes, qu'elle transporte dans une brouette, son petit frère à ses côtés. Fille d'un maçon tué par la milice, elle fuit la ville, les zones de combat et les miliciens avec ce qu'elle a de plus cher : sa mère, son frère, un peu d'argent, une photo de ses parents, quelques biens qu'elle porte sur son dos.

Johnny, lui, s'est enrôlé dans la milice, et s'est placé sous les ordres du "général" Giap, surnom de guerre qu'il est fier de lui avoir trouvé. Armé jusqu'aux dents, il patrouille avec ses hommes afin de démasquer les Tchétchènes qui se cachent dans la population civile, et qui sont des terroristes soutenant l'ancien président. Donc une menace à abattre. En parcourant les rues, ils abattent les hommes, violent les femmes, pillent les maisons. Avec ses gri-gri sur le torse, Johnny se sent protégé. Lui qui rêve de devenir intellectuel doit trouver un nom de guerre à la hauteur de ses ambitions : se sera Chien Méchant.

De leurs deux récits en parallèles, qui parfois se croisent, Laokolé et Johnny donneront une image de la guerre vécue de l'intérieur. D'un côté, la guerre vue comme un grand jeu, sans règles, sans encadrement, avec ses plaisirs immédiats comme le droit de mort, le viol, ou encore la possession d'objets volés qu'ils sont fiers d'exhiber. De l'autre, un courage exemplaire, une force surprenante dévouée à la survie, capable de faire face au pire sans perdre aplomb, qui malgré tout restera debout.

C'est une oeuvre sensiblement brillante que ce roman, une lecture qui perturbe, qui interroge le lecteur, et qui réussit, sans jamais juger les attitudes occidentales absurdes, à nous ouvrir les yeux sur une réalité vécue trop souvent par l'intermédiaire d'un écran télévisé. Une plongée édifiante dans la guerre civile, ses abbérations, sa cruauté, qui nous montre la force de vivre d'un peuple qui, malgré tout, garde l'espoir d'un jour meilleur. Tout simplement saisissant.
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le 26 sept. 2010

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Brice B

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