Denis de Rougemont n'est pas l'une des figures les plus connues de notre panthéon littéraire. C'est une évidence regrettable. A 27 ans, ce jeune diplômé d'origine suisse, après une expérience chez un éditeur parisien et la fréquentation de nombreux "intellectuels" appartenant à la mouvance des non-conformistes des années 30, se retrouve au chômage. Ou plutôt "en chômage".


Ce statut va le conduire pendant deux années à vagabonder entre la côte atlantique et les cévennes, à fréquenter un "peuple" dont il a tant discuté dans ses cercles littéraires sans le connaître. L'occasion pour De Rougemont de s'interroger sur son statut, sa fonction, sa classe sociale et le sens de ses réflexions et engagements à une époque où l’horizon politique en Europe semblait dangereusement pencher entre le fascisme ou le communisme de type stalinien.
Au-delà de cette réflexion politique propre à sa formation (et finalement, assez anecdotique dans l’ensemble de l’ouvrage), c’est davantage une réflexion sur la place de l’intellectuel (ou du « surdiplômé » dirions-nous aujourd’hui) dans une société où celui-ci se déconnecte de réalités de terrain.


En effet, au contact de ce que l’on pourrait appeler de manière péjorative « le petit peuple », De Rougemont se rend compte de la vacuité d’un discours ou de débats demeurant cloisonnés à des cercles d’initiés. Autrement dit, il s’attarde sur le paradoxe de sa situation : continuer son travail d’intellectuel tout en étant pas rémunéré, réfléchir et écrire sur « des gens qui risquent de ne pas pouvoir ou vouloir le lire ».
L’auteur ici n’arrive à aucune conclusion, si ce n’est véritablement, au vu de son statut que : « l*a pire injustice du chômage, c’est qu’il vous oblige à prendre la première place qu’on vous offre, fût-elle la plus contraire à votre vocation, sous peine de passer pour un feignant et de se voir refuser toute espèce d’aide ou de considération amicales* ».


Un journal intime dont les réflexions, à l’heure où une part significative des jeunes diplômés s’interrogent sur le sens du travail et des « bullshit jobs », n’ont presque pas perdu une ride. L’on pourrait en effet croire (à quelques rares exceptions), que cet ouvrage a été rédigé par un contemporain, tant les doutes et les constats sont toujours aussi frappants.

Jeff_Ricochet
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le 10 mai 2021

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