"Le meilleur et le pire automne de ma vie"
"Le meilleur et le pire automne de ma vie", c'est une citation de ce roman original et si inspiré qu'est "Joyland". En vérité, il existe sur le blog de Marvelll (http://marvelll.fr/critique-joyland/) une critique avec un titre bien plus enchanteur, qui m'a émerveillé avant même que je commence le bouquin: "Le Stand by Me de l'Amour". Je vous laisse vous débrouiller avec ça, mais ça m'a mis l'esprit en vrac.
Ce bouquin n'est pas à ranger à côté des classiques de Stephen King, des pavés complexes et torturés allant chercher très loin dans le scénario et les thèmes abordés. Ici, King nous livre une histoire simple, prétexte à discuter de la vie, de l'amour avec une note de nostalgie embellissant le tout d'une poésie intime, émue, directe. On ressent, notamment grace à un narrateur désormais âgé, le plaisir à se remémorer des souvenirs de prime jeunesse, où l'amour semble infini et le sexe un eldorado inatteignable. C'est avec un point de vue sage, avec le ton de confidence qu'emploie chaque grand-père lorsqu'il souffle une histoire à son petit-fils que l'on écoute le récit d'un été puis d'un automne passés à Joyland, parc d'attraction où l'on ne travaille qu'à vendre du bonheur. Ironie du sort lorsque l'on sait que le jeune Devin Jones s'est fait dérober tout son stock de bonheur par son premier amour, de la manière la plus classique qui soit, entrainant comme il se doit une réaction imprévisible: s'exiler dans le monde forain de chez forain, se blinder la tête d'idées dansantes, joyeuses comme Howie le Chien Gentil, porter la fourrure pour divertir quelques ploucs et qui sait, rencontrer peut-être une pigeonne au détour d'une attraction...
La structure du livre est amusante, ce dernier se séparant en deux parties fort distinctes. Il existe une continuité, au sens où notre bon vieux Jonesy évolue au fil des évènements marquants sa vie, mais il y a peu de ressemblance entre l'intrigue et le contexte de la page 1 à 150, et entre la page 150 et 300. La scissure est là, et les personnages sont très différents, chacun apportant une touche délicieuse au roman. Tom et Erin dans la première partie, avec la naissance d'une grande amitié, parfois ambigüe, apparaissant parfois comme une impasse; mais c'est aussi la découverte de Joyland et ses personnages hauts en couleur, en commençant par le poétique et protecteur Lane Hardy, le mythique et vieux Easterbrook, le renfermé Pop Allen ou cette allumée de Rozzie! On pose les choses, c'est une partie succulente où l'on est plongé dans le parc d'attraction, sa Parlure, son passé... La deuxième partie voit l'apparition d'Annie et Mike, qui sont des personnages extrêmement réussis, adorables. Annie est envoûtante à sa manière, on le devine, on le ressent, et on meurt d'envie de monter avec elle. Parfaite!
L'affaire qui sous-tend le roman et le classe dans la catégorie "polar" auprès de certains lecteurs, c'est ce meurtre perturbant s'étant déroulé quelques années auparavant dans la Maison de l'Horreur. mais c'est honnêtement très secondaire, et King ne prend pas vraiment la peine de travailler son enquête, qui se révèle au final très superficielle, ne convainquant pas vraiment. Il faut avouer que si Joyland est une réussite, c'est bien parce que ce que le livre a à nous offrir est bien tout sauf une bonne enquête policière. La conclusion de cette enquête est par ailleurs assez navrante, mais ne nous en formalisons pas.
De même, le fantastique ne reste qu'une légère touche nécessairement ajoutée par Stephen King, ce dernier ne semblant être à l'aise qu'avec un peu de surnaturel dans son histoire (et cela me convient très bien!). On sent que là aussi, ce n'est pas le fantastique qui convainc, mais juste ce récit d'un brin d'existence, débordant de vie, de joie et déception, où les larmes furent mêlées aux plus beaux sourires.
Je conclurai en recommandant vivement ce bouquin, petite perle de simplicité dans la biblio du King, œuvre déroutante faisant un doigt aux puristes de la littérature blanche, ici bien embêtés face à un bouquin ne se cantonnant pas à un genre ou un courant, mais parlant de ce que King veut parler, usant de la vulgarité comme d'une poésie, et de la Parlure comme dictionnaire. Forain de chez forain ce bouquin, top de chez top.
NB1: Je ne peux m'empêcher de râler moi aussi sur la quatrième de couverture complètement mensongère, complètement à côté de la plaque, s'évertuant à donner un portrait de King éternel, immobile, de grand conteur de l'horreur, alors qu'ici, il n'en est rien...
NB2: Tout le monde s'en branle, et ça n'a rien à voir avec Joyland, mais la littérature fantastique est-elle morte? 3 librairies visitées aujourd'hui, un unique constat: les rayons de l'imaginaire, parfois carrément repoussés en rayon jeunesse (là c'est la meilleure), sont séparés en "SF", "FANTASY" et "FANTASTIQUE". Pas de problèmes jusque là, mais alors que les rayons SF et Fantasy dégueulent de livres plus ou moins bons, le rayon fantastique fait triste figure: c'est un ramassis de la bit-litt la plus infâme, un exemplaire de Dracula et la biblio de Stephen King. Pourquoi si peu de richesse? N'y a-t-il donc plus d'auteurs fantastiques hors bit-litt? SOS APPEL EN DETRESSE.