Mieux comprendre les tensions multiples dans un monde en recomposition permanente.

Cet ouvrage clair et accessible est signé par Thomas Gomart, historien et directeur de l’Institut français des relations internationales. Il se propose d’étudier les points de tensions essentiels dans le monde actuel, un monde de plus en plus connecté et où les territoires sont de plus en plus interdépendants, traversés par des flux de toutes natures en permanence (personnes, marchandises, capitaux, informations). Pourtant ce monde apparaît aussi plus que jamais complexe et fragmenté, soumis à des tensions multiples. L’auteur s’intéresse en particulier à trois « nœuds géostratégiques », des points de passage vitaux de l’espace mondial : d’abord le détroit de Taïwan, ensuite celui d’Ormuz et enfin le Bosphore. Thomas Gomart nous explique que "leur contrôle direct ou indirect conditionne une partie des rapports de force internationaux, dans la mesure où ils influent les uns sur les autres. Ces zones pivots se trouvent au cœur de territoires hautement convoités par lesquels transitent des flux indispensables aussi bien aux pays du Nord qu’à ceux du Sud".

C’est là en effet que se mêlent des enjeux économiques et commerciaux en 1er lieu car y transite une grande partie des marchandises échangées par voies maritimes, les flux de microprocesseurs par exemple pour le détroit de Taïwan et des flux d’hydrocarbures pour Ormuz. À ces enjeux économiques, on peut ajouter des intérêts politiques comme les ambitions territoriales de la Chine en mer de Chine (vers les îles Spratley par exemple). Enfin, les enjeux militaires sont évidents puisque ces points de passage étant essentiels pour les grandes puissances, ces dernières doivent en assurer la sécurité et la liberté de circulation sur les mers, afin de préserver leurs intérêts, d’où les bases militaires qu’elles y possèdent et les patrouilles dans le Golfe d’Aden. Là aussi, la militarisation de plus en plus poussée de la Chine pousse les autorités taïwanaises à s’inquiéter. La Chine multiplie les provocations en mer de Chine (et pas uniquement) sans respect des règles internationales. Le monde est en pleine recomposition et l’auteur insiste sur la « vitesse des transformations à l’œuvre, qu’il s’agisse des rapports entre puissances, des équilibres au sein des sociétés civiles ou du fonctionnement des appareils productifs ». Une des questions centrales est de savoir jusqu’où pourraient aller ces tensions : peuvent-elles déboucher sur un conflit bien plus large ? Si la Chine intervenait militairement pour reprendre Taïwan, quelles seraient les réactions des États-Unis ? Pour l’auteur, une riposte états-unienne n’est pas forcément le scénario le plus probable dans ce cas et je pense qu’il a raison. Quelles peuvent être les conséquences de la guerre en Ukraine ? Ce serait pour l’auteur une lourde faute de penser qu’une guerre nucléaire à propos d’un de ces points de passage est impossible ou au moins très improbable. Et là aussi je lui donne raison.

Et enfin dans ce monde en recomposition, quel peut être le rôle de l’Union Européenne ? Une UE qui a bien du mal à être crédible face aux géants mondiaux que sont les États-Unis, la Chine et même la Russie ; un manque de crédibilité car elle se révèle souvent incapable de parler d’une seule voix et son poids économique, financier, militaire diminue. Même les pays émergents du Sud la jugent en déclin rapide…Une UE très/trop dépendante pour sa protection militaire des États-Unis, des importations d’hydrocarbures de Russie et du Moyen-Orient pour son énergie, et des produits chinois à bas coût. Comme le dit Thomas Gomart : « Les Européens dépendent de plus en plus de la tonalité des échanges entre les superpuissances du XXIe siècle ». C’est donc une Union Européenne en position de faiblesse qui doit se réinventer très vite si elle veut encore y jouer un rôle important, alors que les puissances mondiales respectent de moins en moins le droit international. Elle doit repenser sa défense en évitant la naïveté et peut en ressortir plus forte ou plus divisée que jamais, rien n’est écrit à l’avance : peut-elle laisser l’Ukraine se désagréger alors que les Américains semblent vouloir mettre fin au conflit en s’alignant sur les vues de Poutine ? A-t-elle les moyens en plus de la volonté politique d’y remplacer dans ce cas les Américains ? Voilà quelques-unes des questions essentielles, qui sont de vraies sources d’inquiétude pour l’avenir proche, que l’auteur pose et les réponses à ces questions vont engager le sort du monde au XXIe siècle.