Le Commissaire Maigret aussi a un "angle mort"

Le contexte

Saint-Fiacre est le village où Maigret a passé son enfance.

Saint-Fiacre désigne également, dans la religion chrétienne catholique, le saint patron des jardiniers, horticulteurs, agriculteurs, métayers, cochers et chauffeurs de taxi.

Ainsi, tout comme Saint-Fiacre est le patron religieux, spirituel des métayers, le comte de Saint-Fiacre est le patron temporel des métayers de son domaine. Le comte est assisté d’un régisseur qui chapeaute les domestiques et les métayers.

La situation qui règne au château

Les choses ont bien changé depuis que Maigret est parti.

M. le Comte est décédé.

Mme la Comtesse dont le cœur est trop fragile a sombré dans une sorte de déchéance à la fois morale et sociale qui la ronge de culpabilité.

En effet, depuis la mort de son époux, elle a eu pour amants ses secrétaires particuliers qui ont l'âge de son propre fils et, qui plus est, sont de condition sociale inférieure :

• Emile GAUTIER : fils du régisseur
• puis Jean METAYER : un fils d'une famille de Bourges, famille ruinée à la suite de la faillite d'une banque lyonnaise.

Au-delà du caractère incestuel des relations qu'elle entretient avec ses secrétaires particuliers (ils ont près de 30 ans de moins qu'elle), ces relations ont une symbolique profondément sociale.

A travers la relation avec Emile GAUTIER, fils du régisseur, Mme la Comtesse descend une marche de la hiérarchie sociale du domaine de Saint-Fiacre. Cette hiérarchie sociale n'est pas que celle du domaine de Saint-Fiacre. Elle correspond à l'organisation sociale de tous les domaines agricoles sauf exception.

Quand, ensuite, elle entretient une relation avec Jean METAYER, symboliquement, elle descend encore d’un rang. On obtient une relation comtesse – métayer.

On pourra aussi souligner que Comtesse est un titre de noblesse alors que Métayer est un métier et notamment un métier du travail de la terre. Socialement, ce sont deux mondes qui n’ont pas vocation à se mélanger.

Jean METAYER est issu d’une famille de Bourges.

Une double lecture se présente ici :

• au sens propre : une famille qui est géographiquement installée dans la ville de Bourges ;
• au sens figuré : une famille qui s’est hissée au rang de la bourgeoisie locale.

On peut y voir une allusion à une trajectoire sociale partant de la paysannerie (METAYER) à la bourgeoise (famille de Bourges). Autrement, il s’agit d’une famille de « parvenus ».

La déchéance morale et sociale de Mme la comtesse est le corollaire des ambitions financières et donc sociales de ses secrétaires particuliers successifs :

• Emile GAUTIER, complice de son père régisseur, aide ce dernier à racheter en sous-main les métairies que Mme la comtesse se voit contrainte de vendre ;
• Jean METAYER s'est vu « couché » sur le testament de Mme la Comtesse (allusion faite à la nature de leur relation).

Par ailleurs, le personnage de la Mme la Comtesse laisse paraître un personnage faible, incapable, sans véritable homme à ses côtés, de diriger un domaine.

Le mobile du meurtre

L’argent, nourri par la jalousie d’Emile GAUTIER envers Jean METAYER.

Ce qui empêche Maigret d'y voir clair

En revenant à Saint-Fiacre, Maigret se retrouve plongé dans le système dans lequel il a grandi enfant. Son père y a travaillé pendant 30 ans en tant que régisseur du château.

Maigret s’attend donc à ce que les choses y fonctionnent comme du temps de son père.

Or, c'est une situation tout autre qu'il découvre.

Il ne peut pas voir clair dans un système dans lequel il est émotionnellement et psychiquement impliqué. C’est ce à quoi fait allusion la fatigue qu’il ressent.

L’histoire se termine naturellement par un taxi (fiacre moderne) qui s’en va car, pour Maigret, le Saint-Fiacre qu’il a connu s’en est définitivement allé.