Des chasses et de l'antispécisme : une enquête qui éclaire autant qu'elle déçoit

Dans cet ouvrage, l'anthropologue Charles Stépanoff étudie les pratiques et communautés de chasse dans le Perche et la Beauce, en les comparant dans le temps et dans l'espace, aux chasses primitives et à ce qu'il a observé en Sibérie ; et ça fonctionne très bien.

Le travail de comparaison permet de comprendre les visions du monde et les rapports aux animaux et à la "nature" des chasseurs paysans. J'ai appris énormément non pas sur la chasse mais sur les chasses pratiquées en France. L'enquête de Stépanoff m'a permis de prendre du recul et de décentrer le regard. Et même si mon point de vue n'a pas changé sur l'acte même de traquer et de tuer, je ressors de ma lecture grandie, avec une meilleure connaissance et une compréhension plus fine des rapports humain-animal qui composent notre société.

Très gros bémol en revanche : Stépanoff, par souci d'impartialité j'imagine, s'efforce (se force ?) à étudier en parallèle un groupe militant anti-chasse.

Or, cette partie de l'enquête est plus que lacunaire, ce qui crée un déséquilibre flagrant à la lecture entre la finesse et la densité de la description des pratiques de chasse et l'analyse en surface des rapports aux animaux et à la "nature" des militants et militantes anti-chasse. Ce pas de côté, qui peut s'entendre méthodologiquement, ne contribue même pas à éclairer davantage, par contraste, l'objet d'étude de Stépanoff : la chasse et ses rapports sous-jacents au vivant.

J'ai ainsi trouvé intellectuellement malhonnêtes les conclusions que l'anthropologue tire (étire) de façon générale sur l'antispécisme comme rapport au monde ; un rapport au monde qui mérite une analyse tout aussi sérieuse et exigeante de par la richesse des pratiques, des humain·e·s et des représentations qu'il englobe sur le terrain.

L'extrait qui suit, qui se limite à la description d'un concept détaché de ses ancrages dans le réel, est par exemple très peu convaincant voire caricatural :

.. on voit que pour l'antispécisme, c'est dans la mesure où ils se rapprochent d'un sujet humain moderne que les animaux peuvent accéder à des droits protecteurs. Les milieux vivants, les eaux, les plantes, les roches et les animaux sans système nerveux central sont en revanche laissés dans l'indifférence et peuvent être livrés à l'exploitation et à la destruction.

L'ouvrage et le point de vue de Stépanoff auraient gagné à se limiter à une monographie des pratiques de chasse. La volonté de réhabilitation de celles-ci aurait été plus assumée et, à mon sens, plus noble.