Autrefois pris en charge par les cadres sociaux, le deuil relève aujourd'hui d'une expérience exclusivement intime, qui est pourtant d'une totale banalité. C'est cette contradiction que le livre de Didion illustre bien à mon sens. Il y a des instants où le témoignage est vraiment émouvant, simplement émouvant, comme si le texte résonnait avec notre vécu de façon pure, mais ces instants sont noyés dans de longues notations biographiques, médicales, des "revues de la littérature" qui m'ont, souvent, ennuyé. Au risque de paraître un peu mesquin, j'ai été agacé par la tonalité grande-bourgeoise qui se dégage de ce témoignage (un ami m'a prêté son avion ; nous avons rencontré X à un dîner chez Y qui nous présenté Z dont j'ai obtenu ceci ou cela ; mon ami le Docteur N est allé parler aux médecins à l'hôpital, etc.). Didion a eu le luxe de s'offrir un Deuil, avec le temps qu'il faut, la disponibilité qu'il faut. Ce n'est pas le cas de tout le monde, mais elle ne semble pas, dans sa volonté de prise de distance intellectuelle avec le matériau biographique, avoir tenu compte de sa position privilégiée, ce qui me semble une faute de goût, et une grande limite pour son livre. Un témoignage parfois très touchant, intelligent et plutôt bien fait, en somme, mais dont la portée reste trop limitée pour que j'y voie, comme d'autres, un grand livre. Que cet opus ait été si vanté dit surtout le vide qui entoure aujourd'hui la pensée de la mort dans notre société.