L'Année du Lion
7.6
L'Année du Lion

livre de Deon Meyer (2016)

Le plan est impeccable, la construction suit, tout se tient, rien ne dépasse (1), si bien que les pages se tournent toutes seules. Je connais un maçon qui fait la même chose quand il monte un mur. Même le twist final, qui quoi qu’on en dise se tient à peu près, comble les rares aspérités des six cent soixante-dix pages précédentes (2).
Mais si la littérature était de la maçonnerie, ça se saurait. Et c’est le problème de l’Année du Lion : être presque trop bien construit. Tout le reste, tout ce qui peut faire le sel d’un récit postapocalyptique disparaît au profit de cette construction. On parle d’un récit dont le narrateur principal alterne avec une dizaine de narrateurs annexes, et où pourtant tout le monde s’exprime de la même façon. Imaginez une Horde du Contrevent – pour ne rien dire des Liaisons dangereuses – dont le style serait absolument uniforme du début à la fin…
Souci de réalisme ? Je ne crois pas : interviewez une dizaine de vos amis, les tics de langage des uns et des autres se manifesteront forcément. Alors imaginez une dizaine de personnages d’âges et de milieux différents, comme ceux qui se retrouvent à peupler la colonie d’Amanzi… Le souci principal de l’auteur, me semble-t-il, a surtout été la facilité de lecture. Les phrases de plus de quatre lignes sont rares dans le livre de Deon Meyer, les paragraphes de plus de dix lignes plus rares encore. En soi, ça ne me gêne pas : je considère que les seuls livres pénibles à lire sont les livres mal écrits.
Mais ici, ça se fait au détriment de la richesse : les références philosophiques ou littéraire qu’on trouve çà et là (par exemple à Orwell, p. 196) semblent surtout des coups de coude appuyés au lecteur qui n’aurait pas saisi les rapprochements. De fait, j’ai lu des critiques mettant face à face l’Année du Lion et la Route de McCarthy. Pour ce qu’elle vaut, la comparaison a au moins le mérite de mettre en lumière la différence de richesse, précisément, entre un sympathique récit anecdotique et un futur classique : le premier, qui pourtant ne raconte presque rien, et tait notamment la raison du désastre, nous en dit beaucoup plus sur le monde que le second avec sa profusion de détails, y compris au sujet de la relation père / fils qui en constitue le fil conducteur.


Il me semble que l’Année du Lion se lit d’autant plus vite que n’importe quel lecteur en connaît déjà le décor et surtout les personnages : Willem le leader humaniste, Domingo l’homme des bois / commando surentraîné « qu’il vaut mieux avoir de son côté » (p. 98), Nkosi le religieux fanatique, Nico l’adolescent en quête de repères, Sofia la jeune orpheline sensible, Nero le manipulateur bienveillant, Hennie le vieux routard bonhomme (3)… Comme dans beaucoup de fictions qui entendent mettre en scène un échantillon de la société, on se retrouve très vite avec des caricatures, d’autant que les réflexions sur la nature sociale – ou non – de l’homme en restent au stade de rudiments.
La « Fièvre » qui ravage le monde dans ce roman dystopique mâtiné de policier est causée par un coronavirus. J’explique le – relatif – regain d’intérêt qu’à ce titre il a suscité récemment par le fait qu’il porte sur le monde le même regard que notre société post-industrielle : elle parle d’occasion de se réinventer, mais elle agit avec le cœur en perpétuant le spectacle à heures fixes, pour mieux se cacher que ce sera la même merde après qu’avant. Putains de héros verniens, tiens !


(1) Bon, presque rien : comment se fait-il que les méchants qui signalent le passage des gentils au chapitre 61 (p. 341 en collection « Points ») les laissent passer au retour ?
(2) Soyez sans crainte, le spoil figurera seulement dans le paragraphe qui suit. Par contre, je peux vous résumer les pages 200 à 600 : pan, pan, pan ! boum ! takatakatak ! boum ! boum ! pan ! Voilà. S’il faut être un génie pour rendre palpitants des récits de fusillades, alors Deon Meyer n’est pas un génie.
Ne lisez pas cette note si vous n’aimez pas le divulgâchis. – Pendant les cent premières pages, on se dit que la narration a quand même vite laissé


la mère


de côté. On y repense de temps en temps, et quand ça arrive, tout s’explique. De mon côté, en m’imaginant


un genre de Truman Show post-apocalyptique


, je n’étais pas loin du compte.
(3) À comparer dans la série The Walking Dead et dans l’ordre avec Rick, Daryl, Alpha, Carl, Enid, Ezekiel et Dale. (J’ai la flemme de rechercher les équivalents dans Lost, il me semble que la distribution est à peine différente.)

Alcofribas
5
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le 17 avr. 2020

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