Comme j'aurai aimé adorer ce texte ! J'ai été happé par la première partie, rocambolesque, provocante, fantaisiste à souhait sur les années de jeunesse de Modesta. Malheureusement, j'ai perdu ce souffle quand elle est devenue la matrone de la villa, à la suite de la vieille Gaïa. Les réflexions sont plus introspectives, l'action n'est clairement plus la priorité, et on se perd dans des développements sans progression.
J'ai été fascinée par la première partie car c'était dans l'action que Modesta témoignait de son immense liberté. Ca peut paraître très galvaudé de parler de "femme libre", ou de "souffle de liberté", mais Goliarda Sapienza applique sa liberté partout, et à un niveau radical dans ce texte que c'est impossible de ne pas la mentionner : son héroïne est d'une inspiration folle, elle remet en cause (en l'explicitant assez peu, juste en "étant"), un nombre incalculable de conventions sociales. Elle a la tranquillité du sage mais réfléchit toujours à l'empreinte qu'elle laisse, au sens de ces décisions, parfois instinctives. Son intelligence et sa puissance tranquille irradient dans tout le roman. Comme j'aimerai être aussi souveraine de mon corps, de mon esprit, de mes choix de vie !
La forme est très expérimentale et rend compte de cette liberté de pensée : Sapienza s'autorise tout, sans maniérisme. Les points de vue sur les scénettes sont parfois chaotiques (on passe du Je au Elle, de la description objective à la pièce de théâtre, de longs dialogues sans en connaître les protagonistes nous sont proposés, des personnages meurent en une phrase, ou se téléportent dans le temps ou l'espace pour un paragraphe...) mais ça ne sonne jamais brouillon. Ca sonne juste en profond accord avec le reste de la sauce, une anarchie tranquille qui ne se donne pas de grands airs.
J'ai sous estimé cette anarchie de forme, donc malheureusement j'ai perdu vite le fil des personnages, et ça m'a empêché d'être autant accrochée pour la deuxième partie. Elle crée une anarchie relationnelle entre tous les personnages qui est fascinante : on ne sait plus qui sont les enfants, les amis, les amants, les adultes, les filiations biologiques ou adoptives, et les personnes sont parfois égaux dans les tempéraments, donc je m'y suis perdue. Certaines relations m'ont semblé sans intérêt, d'autres peu explicités pour comprendre les enjeux.
Finalement, je crois que si ce texte avait été resserré avec 300 pages de moins, il aurait gagné en puissance, et ça aurait eu une empreinte durable sur moi ! J'ai lutté contre l'ennui sur la fin, et c'est dommage car des éclats de phrase m'ont régulièrement rappelé le potentiel chef d'œuvre qu'aurait pu être ce texte !