Parfois, on ne les reconnaît pas à leurs fruits, ou alors il faut supposer plus insidieusement que dans les branches de l'arbre généalogique un intrus s'est glissé pour y lâcher son dépôt polluant. L’Énigme, de Serge Rezvani, est un de ces mauvais bouquins qui convoquent trop une filiation borgésienne pour pas être en loup un écho d'Eco.
Les sept membres de la familles Knigh sont sur un bateau, à écrire chacun leur œuvre littéraire en bonne partie antagoniste de celle des autres. Pour une raison indéterminée, tout le monde se fiche à l'eau, après qu'une main coupable a retiré au préalable l'échelle qui permettrait de regagner le navire. Tout ce beau monde disparaît dans les flots, non sans avoir gratté la paroi, et sont dépêchés sur place trois enquêteurs de choc pour boucler cette énigme meurtrière et policière : l'enquêteur du domaine marin, impatient et matérialiste, le poète criminologue, en proie aux envolées comparatistes, et le théseur, expert de l'herméneutique des Knigh qui sera chargé d'analyser les documents retrouvés afin de tirer l'affaire au clair.
Le bouquin est un pâté de références qui se partousent le long d'interminables débats entre les trois protagonistes qui échangent systématiquement de la même façon sur les mêmes sujets. Il ne faut pas plus de deux chapitres pour comprendre que l'équation (le théseur parle d'un secret de famille – le crimonologue digresse en name-droppant – l'enquêteur le coupe) demeurera inchangée tout le long du bouquin qui progresse par des révélations ad hoc chiantes consistant toujours à peu près en un désir pour un membre de la famille à l'encontre d'un autre. Ce caractère artificiel et mécanique de l'intrigue est cruellement renforcé par une maquette assez détestable du bouquin, particulièrement petit et serré, ce qui n'aide pas un texte bavard que son auteur n'a préféré pas aérer par des paragraphes. Le langage est constamment pédant dans une espèce de fausse vraie satire du phraser analytique, qui ne sait pas se détacher assez de son abstraction pour en faire quelque chose d'amusant comme chez Jarry au hasard.
Globalement, le roman va épuiser le long de ses micro-débats toutes les perspectives attendues sur le problème de l'interprétation, en se vautrant dans un pyrrhonisme plus que pénible sur l'impossibilité de toucher le Vrai du caractère à travers le texte, tandis que celui-ci va acquérir comme unique pouvoir la capacité à repousser dans l'après les douleurs de la vie quotidienne – une vie de couple dysfonctionnelle et un enfant handicapé, en l'occurrence.
Un livre des années soixante trente ans après. Faudra vraiment qu'on m'explique en quoi exactement le plaisir du texte nécessite un tel abandon relativiste.