Un ouvrage éclairant sur la très délicate relation franco-algérienne

Xavier Driencourt a été ambassadeur de France en Algérie à deux reprises (2008-20112 et 2017-2020). Il y a servi sous les présidences de Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron. Ce témoignage dresse un panorama assez complet des relations franco-algériennes ces dernières années, mais n'en reste pas moins évasif sur certains sujet. Tout en respectant le devoir de réserve qui s'impose à lui comme fonctionnaire, Xavier Driencourt a néanmoins le mérite d'éviter la langue de bois et d'afficher un parti pris assumé. Il dresse un portrait sans concession de la gouvernance algérienne et de son incapacité à moderniser le pays, tout en restant bien plus discret sur les manquements de la France.


Un de intérêts principaux de cet ouvrage est de rappeler que la question coloniale et la problématique mémorielle sont fondamentales pour appréhender la relation franco-algérienne. Le douloureux passé de la guerre d'Algérie forge en effet le cœur de la diplomatie algérienne vis-à-vis de la France. Si l'on peut comprendre le ressenti d'un peuple qui a été occupé pendant 132 ans, on peut regretter -c'est le point de vue de l'auteur- que les autorités algériennes mettent aussi peu de bonnes volonté à vouloir normaliser leurs rapports avec l'ancienne puissance coloniale. Malgré des écarts du côté français (la fameuse loi de 2005 reconnaissant "le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord"), de nombreux gestes ont été faits par la France en faveur d'un apaisement des relations entre les deux pays (notamment la reconnaisse par Macron des crimes de la France pendant la période coloniale), néanmoins l'Algérie a rarement saisi ces mains tendues, préférant instrumentaliser le sentiment anti-français pour permettre aux élites de fédérer la nation algérienne tout en faisant oublier la situation économique difficile ou la corruption endémique. Le regard porté par l'ancien ambassadeur sur le mouvement Hirak et la neutralité affichée de la France vis-à-vis de ce mouvement est à ce titre instructif.


Tout au long de "L’Énigme algérienne", Xavier Driencourt pointe du doigt le "Système" algérien et ses piliers : un ensemble d'élites qui se maintient au pouvoir depuis des décennies, entretenu par une corruption endémique, instrumentalisant constamment la rentre mémorielle de la période coloniale, soutenu par l'armée algérienne et faisant la promotion d'un nationalisme exacerbé. Les différentes anecdotes relatée par le diplomate son édifiantes et en disent long sur l'hostilité des élites algériennes vis-à-vis de la France (difficultés pour les journalistes françaises à obtenir des visas, traitement humiliant de visiteurs officiels mal-perçus par les autorités, religieux catholiques sous pression permanente, politique de lutte contre la langue française et l'influence culturelle française...). L'hypocrisie des élites algériennes qui font des pieds et des mains pour inscrire leurs enfants au lycée français et les envoyer étudier en France est également pointée du doigt. Hypocrisie qui se retrouve dans la guerre diplomatique entre la France et l'Algérie sur la question des visas. La première tentant d'encadrer la délivrance de visas aux ressortissants algériens qui en abuseraient, la seconde se fendant de déclarations assassines et de mesures de rétorsion dès que le nombre de visas délivrés par la France diminue. La question est particulièrement sensible du fait que les ressortissants algériens bénéficient d'un régime particulièrement favorable découlant d'un accord du 27 décembre 1968 leur facilitant la délivrance de visas et de cartes de résidents, tout en simplifiant l'accès à la nationalité françaises. Les abus sont connus, mais les tentatives pour les limiter génèrent toujours d'importantes frictions avec Alger.


"L’Énigme algérienne" met ainsi en lumière le nœud du problème dans les relations franco-algériennes : mauvaise conscience coloniale, repentance et maladresses d'une part, hypocrisie, instrumentalisation de la rente mémorielle et système politique sclérosé d'autre part. Si Xavier Driencourt appelle de ses vœux une coopération accrue de la part d'Alger, il ne propose finalement que peu de pistes concrètes pour améliorer cette relation bilatérale fondamentale tant pour la France que pour l'Algérie tant les deux pays sont liés par l'Histoire, la démographie et -pour l'instant- leurs liens économiques. L'ancien ambassadeur demeure à ce titre évasifs sur les questions économiques, évoquant le recul des entreprises françaises qui perdent de nombreux marchés en Algérie, mais sans entrer davantage dans les détails et en esquivant la question des matières premières. Un ouvrage édifiant néanmoins, qui éclaire les relations complexes qui nous unissent à l'Algérie. Ouvrage forcément biaisé puisqu'il écrit par un diplomate français, mais néanmoins empreint de sincérité, émaillé d'anecdotes vécues et toujours plein d'affection pour le pays et ses habitants qui -un peu à l'image de la France- sont finalement bien mal représentés par leurs dirigeants.

ZachJones
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le 11 déc. 2023

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Zachary Jones

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