Premières phrases éblouissantes . On en perçoit la beauté , mais la crainte se profile d'une récit dont l'écriture occulte l'histoire. Ne surtout pas s'arrêter : une fois la mécanique et la mélodie acquises, le charme opère et on se prend d'amour pour cette ribambelle de personnages, dans une famille que le langage actuel qualifierait de dysfonctionnelle. Une mère un peu dépassée mais pétrie d'amour et d'ambition pour sa portée.Celui qui parle et dont on suivra l'évolution au cours de ses années d'école, dit d'emblée son goût pour les mots. Les mots écrits car la parole lui est difficile. Tel un oiseau que ses ailes de géant entravent, il observe plus qu'il ne participe. Et à travers son regard, on verra défiler une kyrielle de profs largués, tenant obstinément d'appliquer la loi tacite qu'on leur a demandé de transmettre, ou totalement démissionnaires, mais efficaces dans une certaine mesure, en imprimant des souvenirs de fulgurances qui peuvent laisser des traces pour des années.
Très belle évocation de la période complexe de l'adolescence, avec ce corps qui subit une transformation perturbante :
Ça vous prend de l'intérieur et, de là, vous enlève à vous-même, vous déforme, vous empoisse. Avec cette impression qui vous sert la gorge d'avoir été jeté dans le monde, sans préavis, corps frêle, grandissant, pris de toute part de confusion et de poils. La voix s'enroue au sortir. On se maudit comme on s'advient. Ahuri. Étranger. Autrement vivant.
Une excellente surprise que ce roman original par son style et remarquable pour l'acuité de ce regard sur des êtres ordinaires, mais riches de cette banalité. Ce roman sera sans doute clivant, mais il vaut le détour et mérite que l'on se laisse porter par la beauté de ce langage, par la poésie qui en émane.