L’entroubli est le premier roman de la sélection du prix Roman des étudiants avec France Culture que j’ai lu. Quand on a le choix entre 5 possibilités, on se pose des questions : par quoi commencer ? Celui qui nous fait le plus envie ? Ou au contraire, est-il bon de se débarrasser de ceux qu’on sent le moins ? Ou le premier qui nous passe sous la main ? A la librairie du BHV ils y étaient tous. Certains livres étaient classiques, d’autres semblaient expérimentaux, certains étaient sur un présentoir et d’autres cachés au fond d’un rayon. J’ai senti alors que les choix qui ont été fait avant ma propre lecture, vont m’impacter, que je le veuille ou non. Mon choix s’est finalement fait grâce à la couverture du roman et de son titre. Le livre est beau, le titre poétique et énigmatique attire. Je l’ai emporté.
L’entroubli est l’histoire d’un garçon qui vit dans un quartier populaire de Paris, il s’agit d’une autofiction, ou comme l’on dit parfois “un travail de mémoire”. L’histoire est fragmentaire, c’est à dire qu’il n’y a pas de narration logique, sinon la chronologie naturelle de l’enfance. Les personnages sont les plus ordinaires pour un enfant : ses parents, ses frères, ses professeurs et amis. C’est un rapport au monde qui est décrit. Le style est la pierre angulaire de cette description. Non seulement, c’est ce style qui permet au lecteurs de voir la poésie à travers les yeux de l’auteur. Mais le style est également le moteur de vie de ce “Je”, parmi les paragraphes introspectifs postérieurs aux événements on retrouve des fragments de l’époque. Dans une interview pour la promotion de cet ouvrage, l’auteur racontait être à la recherche du mot juste, il a travaillé son texte avec la précision d’un horloger. On comprend la naissance de ce style à travers cet aveu dans le roman
“Je ne veux devoir mon souffle à personne. Lire serait fondre ce souffle dans le vaste, l’y perdre. Je me refuse à cette communion et fais de ce refus une loi. À ainsi contraindre mon essor, je pense le saisir, le protéger, le détenir. Je jure fidélité à cette hérésie et — loyal — épousema méprise.”
“J’ai, dans le crâne, du verbe au lieu des neurones.”
La première partie, bien qu’elle soit jolie, est parfois peu prenante. C’est un parti pris de l’auteur, il y a un “nous” observateur. C'est-à-dire un collectif qui ne participe pas à l’action, on a donc une impression de description de cent pages. Ce choix est tout à fait compréhensible car il nous parle de l’enfance, les souvenirs sont par images, instants, et c’est un ressenti. La deuxième partie est plus touchante, car les souvenirs sont plus longs et le narrateur est plus acteur.
Au-delà du style, beau et profond, les thèmes abordés, complexes, sensibles et précis donnent une vraie puissance de récit. Chaque fragment nous coupe le souffle ne nous laissant respirer qu’à la fin du paragraphe. J’ai particulièrement apprécié l’analyse d’introspection de ses années collège et lycée: en les mettant en opposition grâce aux retrouvailles de certains professeurs et élèves, j’y ai trouvé une justesse dont on délecte. Certains repenseront à leur propres années d’adolescences et d’autres comprendront ce gamin bizarre qu’il on croisé et à qui ils n’ont jamais adressé la parole.
“Je fus en sommes de ces enfants dociles et oubliables que le corps enseignant dit “sages mais rêveurs”, faisant abusivement de la docilité une sagesse ; du rêve, un tort.”
Ce premier roman est bon, il est plaisant, mais également très riche et émouvant. Je recommande ce roman à tous ceux qui n’ont pas essayé de récit d’autofictions. Mais également à ceux qui ont l’habitude de roman dans ce registre. Je ne le conseille pas aux amateurs de romans construits de manière rigoureuse, ou alors accrochez-vous, si vous aimez la poésie.
Le titre “l'entroubli” ne m’est plus si énigmatique, les fragments entre chaque espace sont des souvenirs merveilleux. Je suis peut-être tombé sur le meilleur roman dès le début.