Encore un livre, bien sûr, impossible à noter, puisqu'il s'agit du récit des longs mois que passa Antelme dans le camp de concentration de Gandersheim, avant la libération à Dachau à la fin du printemps 1945


Le livre est divisé en deux parties : la plus longue, Gandersheim, revient sur la vie quotidienne du camp et la manière dont le système concentrationnaire nie toute humanité à ses victimes. La seconde, plus courte mais pas moins éprouvante, rapporte l'acheminement de Gandersheim à Dachau, au printemps 1945.


J'ai quelques réserves sur Antelme, car je ne peux m'empêcher de le comparer à Primo Levi, et c'est vrai que L'espèce humaine essaie d'être une oeuvre littéraire à partir de son matériaux d'origine. Il y a parfois des effets de style, des jeux d'échos. Cela peut sembler de prime abord obscène, mais je comprends que l'on ne peut objecter au survivant le fait de faire ce choix s'il juge atteindre davantage de suggestivité. La littérature explique parfois mieux que l'histoire, c'est vrai. Simplement, on préfèrerait se contenter des faits.


Et des faits il y en a, hein. Et la chronologie se suit globalement, même si le livre ne prend pas la forme d'un journal, mais d'une sorte d'essai sur le système du camp, mais pas comme le propose Levi, plutôt à travers une collection de notations véristes, de sensations très précises fixant un instant, un moment. Antelme est très sensible aux évolutions, et notamment aux changements que provoquent la faim et l'épuisement, mais aussi à la dégradation morale dont a besoin le camp pour fonctionner : il décrit la naissance du kapo chez un simple prisonnier comme une expérience ontologique, dissèque ce que disent les corps des SS, des kapos et des meisters (ces civils qui encadrent les prisonniers dans l'usine où ils sont censés travailler) de leur relation aux prisonniers. Derrière tout cela, l'auteur tente de sonder l'aliénation que subissent ces hommes. Antelme sait bien décrire comme une sensation comme la faim, la fatigue, le froid peut devenir entêtante au point de gêner toute pensée.


Parmi mes quelques réserves, ce souci de baptiser les camarades de camp "les copains", qui tend à minimiser le "chacun pour soi" qui règne en général (ce que Levi n'occulte nullement, lui).


La dernière partie, vraiment éprouvant, suit la "marche de la mort" au cours de laquelle on abat ceux qui trainent. La sensation de faim hallucinée, la conscience de n'être plus qu'un cadavre ambulant sont terribles (je retiens particulièrement la scène d'agonie d'un camarade dans le wagon). On sent les pensées confuses lors de l'arrivée à Dachau, camp qui se vide progressivement de ses gardiens, et l'incompréhension face aux soldats américains : on aimerait que la vie à Dachau change d'un coup de baguette magique, mais les conditions restent très précaires. Par ailleurs il y a ce regard des soldats américains face à ceux qu'ils voient.


il y aurait encore beaucoup à dire. L'espèce humaine, écrit dès 1947, utilise les souvenirs d'Antelme en captivité comme matériau pour mener une réflexion plus vaste sur la déshumanisation de l'Homme. Un livre éprouvant, même si pour sonder le système concentrationnaire je recommanderais de commencer par Primo Levi, et si au fond je préfère carrément les témoignages de Sonderkommando pour aller au fonds du gouffre.
Je vais lire La douleur avec attention, puisque Duras y raconte l'attente puis le dur retour d'Antelme. Les deux livre se complètent sûrement de manière intéressante.

zardoz6704
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le 10 juin 2023

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