Je viens tout juste de découvrir cet auteur que j'avais rencontré par l'intermédiaire d'un commentaire à propos de Lévinas. Commentaire que je trouvais pénible - je pense tout simplement ne pas apprécier Lévinas - et dont la seule étincelle d'intérêt se trouva être une note citant Alain Badiou dans l'ouvrage : L'éthique. La citation, attaquant Lévinas quant à sa volonté de fonder son éthique dans la présence divine sans le dire, me fit sentir moins seul dans ma consternation.
Ni une ni deux j'ai lu l'ouvrage en question, et reçu une jolie claque. Non seulement Badiou condamne toute volonté philosophique fondant l'éthique sur la religion, mais il rejette également toute volonté politique de la fonder.
Montrant ainsi les manipulations politiques, économique, coloniales et sociales qui fondent notre éthique actuelle, pour en condamner la portée auto-centrée, il propose une éthique fondée sur ce qu'il appelle l'être ou l'événement de chacun.
Ce que Badiou dénonce, c'est donc une morale qui ne concernerait que l'entre-soi. Celui qu'il faut respecter, aider, sauvegarder, c'est toujours le blanc, c'est le riche, c'est le chrétien, c'est l'occidental. Le noir ou l'arabe, le SDF ou le banlieusard, le musulman ou l'animiste, l'oriental ou l'amérindien ne sont jamais concernés par cette moralité. On peut s'autoriser à mal agir envers eux. Ils sont trop peu évolués, trop dégoûtant, trop arriérés, trop violents pour être pleinement respectables, si ce n'est même complètement humains. Parce qu'après tout, nous nous sommes humains. Et Badiou fonde son discours, à la manière d'Edward Saïd dans L'orientalisme, sur les paroles mêmes des journalistes, des hommes politiques, des fondateurs de la morale répandue.
Il propose alors une éthique ne pouvant être dévoyée : une éthique reposant sur ce qu'il appelle "l'événement". C'est-à-dire une éthique invitant à encourager les innovations scientifiques, passionnelles, artistiques ou technologiques promettant de favoriser l'évolution de l'humanité toute entière. En cela, bien agir, c'est et ce sera toujours "agir en vue de simplifier la venue au monde d'une nouveauté (la découverte d'une loi de la nature, l'éclosion de sentiments amoureux, la naissance d'une œuvre pouvant changer l'histoire, la mise en place d'une invention salvatrice) qui aura le potentiel d'améliorer l'existence de l'humanité toute entière.
On voit ainsi que l'éthique ne peut plus être relative à une société, à une époque, à une classe sociale ou à une religion. L'éthique, c'est un acte adressé à un individu, dans le but d'aider l'humanité à travers lui.
C'est brillant, c'est concret, et c'est fait dans une écriture lumineuse de malice.