Le rapprochement entre existentialisme - et plus largement phénoménologie - et écologie est un geste non seulement particulièrement intéressant, mais aussi ambitieux. Je ne commenterais pas ici la plus ou moins grande fidélité vis-à-vis des œuvres fondatrices (Husserl, Heidegger, Sartre et compagnie) car, bien que je ne sois pas d'accord sur toutes les critiques qui leur sont réservées, l'opération de renouvellement met l'accent sur des points originaux et a le mérite à la fois de souligner la pertinence de l'existentialisme aujourd'hui et de le lire à une aune nouvelle.
Je suis en revanche bien plus critique sur les implications que l'autrice en tire, tant elles me semblent disproportionnées par rapport au cadre théorique donné. En effet, l'autrice, qui espère une nouvelle vague de l'existentialisme comme mouvement intellectuel mais également artistique et culturel, entend avancer dans la voie d'une conversion éthique des individus, les conduisant à un "renversement de la subjectivité" qui, ensuite, les conduira à faire pressions sur gouvernements et institutions pour changer l'orientation de notre développement politique, économique et social. La question qui s'ensuit - mais qui n'a évidemment aucune originalité - est de demander comment un tel mouvement, fait d'individualités, adviendra, et, si par miracle tel est le cas, comment il pourra faire advenir ses fins. Cet existentialisme écologique est avant tout, on l'aura compris, éthique, ce qui n'est, en soi, pas un problème, d'autant plus étant donnée la tradition existentialiste. Cela devient néanmoins problématique quand cette prise de position individuelle est présentée comme la solution principale face aux enjeux environnementaux (bien qu'elle ne soit pas la seule pour l'autrice). Il me semble donc que cette œuvre omet malheureusement la dimension matérielle des changements auxquels elle appelle, ce qui n'est pas un simple oubli qui pourrait être corrigé a posteriori, mais un écueil qui remet en question à mon sens toute l'entreprise. Car il ne peut aujourd'hui être simplement question de responsabilité ou de liberté individuelles, mais de lutte entre des intérêts économiques, financiers et politiques ou la bonne volonté risque d'être gravement insuffisante.
Par ailleurs, je note - et cela vaut peut-être moins pour l'autrice que pour moi-même qui suis particulièrement intéressé par les réactualisations contemporaines de la phénoménologie - la tendance à faire reposer cette éthique sur une structure transcendantale qui, si elle s'appelait hier ego transcendantal ou Dasein, s'appelle aujourd'hui "ontologie marine". Mais alors, la bonne vie ou la bonne politique ne risquent-elle pas de revenir à une évaluation de conformité face à un ordre sous-jacent, transcendantal et toujours déjà authentique ? N'est-ce pas là un risque de dépolitisation ?
Néanmoins je ne désespère pas : je m'en vais lire Les Nourritures : Philosophie du corps politique.