C’est trois histoires d’un couple d’amoureux qui ont tous deux 20 ans, successivement en 1949, 1969 et 1989. Ils se rencontrent alors et l’on suit les années suivantes leurs amours et activités. A chaque fois, l’engagement, la remise en cause de l’establishement ou du moins la contestation est au centre de leurs vies, c’est ce qu’ils partagent dès le début. L’auteure connait parfaitement l’histoire sociale et sociétale de l’Angleterre et c’est passionnant de se plonger dans ces époques, pour nous inconnues ; même s’il y a des similarités avec la France on n’a pas les mêmes références. On y scrute donc 3 périodes : l’après-guerre jusqu’en 1951, où les femmes prennent une claque dans la gueule (comme après la 1ère GM) vu comment on les remercie de leur engagement dans l’effort de guerre en les renvoyant à leur tricot (un peu comme on a oublié les services rendus par les « coloniaux » et gommé leurs revendications), ce qui fit le terreau d’un germinal féministe une dizaine d’années après. Les années 70 psychédéliques et expérimentatrices. La fin des années 80 et les années 90. Il est question (en toile de fond) du traumatisme de la grande grève des mineurs sous Thatcher en 84-85, qui dura un an, fit des morts et concerna toutes les couches de la société (voir le film Pride). La drogue et la musique sont des éléments importants dans la vie de la jeunesse, ainsi que les communautés et squatts ; on y voit les diverses tendances libertaires comme les new travellers, le rôle des rave parties qui ont explosé l’été 89, y compris à Stonehenge ! C’est tout de même chouette un chapitre de roman qui se passe à une rave ! Concernant les travaillistes, je ne savais même pas qu’ils avaient eu un moment de soi-disant « renouveau » du parti travailliste ; la décision de supprimer du programme tout objectif de nationalisation suscite une méfiance légitime, mais on voit bien aussi que le besoin de changement après quasi 20 ans de tories au pouvoir laisse les électeurs espérer des lendemains qui chantent (et prendre des vessies pour des lanternes).
Bien sûr, dans les vies des jeunes couples, les liens entre politique et choix de vies ne sont pas forcément aussi clairement identifiés. L’auteure a créé un couple particulier. Elle n’a pas choisi un jeune couple de boursicoteurs dont l’ambition est de devenir millionnaires ou de créer une start-up et on va pas lui jeter la pierre ! C’est particulièrement intéressant de passer ses personnages au prisme de trois échantillons. Je trouve ce roman plein d’idées, ingénieux et expérimental (à l’image de ses héros). Le fait que le couple soit le même dans les 3 époques permet d’une part de stabiliser la narration (de ne pas se perdre dans trop de personnages variés) et de réfléchir sur comment une personne avec le même caractère réagit différemment selon le contexte historique. Voilà de la fiction qui pose des questions et nous fait approcher trois époques différentes à travers l’évolution de trois amours. La romancière s’est inspirée de sa famille ; une de ses grands-mères fut télégraphiste à Londres pendant la guerre, quittant son village et sa famille pour une expérience inédite. Sa mère fut la 1ère de sa famille à faire des études supérieures, grâce aux bourses ouvertes en 1962. Quant aux eco warriors britanniques dont il est question dans le roman, il y a trente ans ils furent vainqueurs bien souvent ! sur 600 projets d’autoroutes, ils en ont fait capoter 500 ! (voir article in Reporterre : "En Angleterre la folle histoire de la lutte contre les autoroutes") ça nous donne du grain à moudre.