L’histoire commence à Sumer se compose de trente chapitres, évoquant chacun une « première » de l’humanité, faisant suite à un avant-propos. La préface, en forme de digest, et des notes additionnelles sont prises en charge par Jean Bottéro : « c’est “avec un grain de sel” qu’il faut entendre le titre et le contenu du présent ouvrage : tous ces “commencements” que S. N. Kramer y découvre et expose avec tant de brio et de science ne sont sumériens qu’a posteriori, et parfois même ils ont chance de ne l’être pas du tout, un bon connaisseur des Sémites pouvant à bon droit les imputer, en fin de compte, à ces derniers » (préface, p. XIII de la réédition « Champs Flammarion »).
L’approche d’ensemble propose du reste quelques divergences par rapport à celle de l’inévitable Jean Bottéro, justement, – qui est à l’assyriologie française ce que la Tour Eiffel est au touriste lâché en plein Paris –, par exemple à propos de l’esprit scientifique des Sumériens ou du Code de Ḫammurabi, divergences peut-être aussi liées aux quelques décennies qui séparent L’histoire commence à Sumer de l’Écriture, la Raison et les Dieux, par exemple. (Il y a parfois quelque chose de daté chez Kramer, par exemple quand il est question du « premier âge héroïque de l’humanité ».) Consacrant de nombreuses pages à la vie quotidienne à Sumer, Samuel Noah Kramer présente par ailleurs beaucoup plus de faits que d’analyses. Un certain nombre de chapitres consistent en des descriptions de tablettes, parfois accompagnées de mises en relation avec d’autres faits culturels et suivies d’une traduction desdites tablettes.
Autrement dit, l’intérêt de tels chapitres est à chercher dans les marges : savoir que les Sumériens avaient un terme, « namlulu, que nous pourrions rendre par : comportement digne d’un être humain » (p. 35) m’a paru plus intéressant que l’évocation du « premier exemple de “lèche” » qui amène cette digression. Savoir que « le cheval était déjà utilisé comme monture en Mésopotamie vers 2000 avant Jésus-Christ » (p. 171) fait également partie des connaissances gratuites qu’on appelle parfois culture générale, mais reste plus stimulant intellectuellement que le texte sur « Les premiers animaux de la fable », plutôt convenu et superficiel, dont il est tiré. Quant à l’idée que « quelques documents, peu nombreux – il faut le préciser –, signalent des scribes de sexe féminin, mais les femmes n’ont pas pour autant joué un rôle important dans les écoles de Sumer et d’Akkad » (p. 26), elle valait peut-être que, dans le cadre d’un livre d’histoire culturelle, on s’y attardât, mais elle figure en note.


Ces chapitres-là deviennent moins nombreux au fil de la lecture, et sont généralement les plus courts de l’ouvrage, mais ils en constituent la majorité. D’où la fin souvent abrupte de propos qui paraissaient mériter de plus amples développements. D’où aussi une impression d’émiettement, comme si l’auteur, s’en tenant aux faits, s’interdisait de tirer jusqu’au bout de le fil de la pelote sur laquelle il avait mis la main – à moins que la pelote fût trop petite pour permettre une telle manœuvre. (Là encore, l’ombre de Jean Bottéro plane : sans doute apprécie-t-on davantage L’histoire commence à Sumer si l’on n’a pas lu Mésopotamie : l’Écriture, la Raison et les Dieux ou Naissance de Dieu : la Bible et l’Historien.)
Cela n’enlève rien à la méticulosité – et au volume ! – du travail de Samuel Noah Kramer, ni à la connaissance approfondie des documents qu’il évoque, les ayant parfois lui-même découverts, ni à la valeur des relations qu’il établit entre différents thèmes, différents motifs, différents personnages, en particulier dès qu’il est question de la Bible – c’est-à-dire, là encore, vers la fin de L’histoire commence à Sumer. Ainsi le lecteur patient, guidé par l’auteur, pourra-t-il dresser des parallèles avec le livre de Job, la Genèse ou le Cantique des cantiques, et même admettre une explication plausible au fait, au demeurant énigmatique, que la Bible fait venir Ève d’une côte d’Adam…

Alcofribas
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le 26 janv. 2018

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