L'expérience force l'admiration : 7 ans de vie en forêt normande parmi les animaux, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente. Geoffroy Delorme s'est tellement intégré aux chevreuils qu'il se considère comme l'un des leurs et leur prête en retour des sentiments humains : Chevi est amoureux de Fougère... C'est là que le lecteur lambda aura peut-être quelques réticences. Un animal est-il "amoureux" ? Mais l'on est forcé de donner du crédit à ce jeune homme qui n'a pas fait les choses à moitié : lui connaît vraiment le monde animal, nous non.


On pourrait dire : "c'est bien joli mais un jeune gars qui a quitté prématurément l'école ne saura jamais écrire". Raté : c'est écrit pas mal du tout. Peut-être l'éditeur y a-t-il une part ? En tout cas, ce défi est très bien relevé. Certes, nous ne tenons pas non plus là un "objet littéraire" : ce qu'a voulu faire Geoffroy Delorme est surtout témoigner, pour faire bouger les mentalités. Les chasseurs en prennent pour leur grade, mais jamais l'auteur ne se montre agressif : il décrit simplement ce que ressentent les animaux.


Et c'est assez passionnant. Presque tout est dans l'odeur, nous explique Delorme. La sienne a été peu à peu acceptée par les animaux. Lorsqu'il revient parmi les humains, il saisit leur état intérieur d'après leur odeur. Fascinant. L'attitude joue aussi, et l'intrus parmi les chevreuils oeuvre toujours avec délicatesse. C'est ce qui lui permet de ramener ces clichés superbes des chevreuils en gros plan, chevreuils qu'il ne photographie que lorsqu'il est devenu "leur ami".


Evidemment, l'espèce humaine en prend pour son grade, et pas seulement les chasseurs. Delorme secoue quelques idées reçues, concernant l'hygiène (non, quelqu'un qui refuse de sacrifier à la sacrosainte douche quotidienne n'est pas forcément "sale"), les odeurs (ce sont nos odeurs, si artificielles, qui sont difficiles à supporter pour lui), la nourriture (on peut se passer de viande, de sucre et de gras figurez-vous), les parades sexuelles (on est assez loin du discours néoféministe). Et puis bien sûr, le procès attendu de l'utilitarisme destructeur des humains est au rendez-vous. Comment l'éviter ?


Un Mowgli d'aujourd'hui, annonce le bandeau du livre. Comme Mowgli, notre héros semble avoir trouvé l'âme soeur à la fin du livre (un peu comme dans un conte de fées il faut bien le dire : la première personne à qui il adresse la parole !), même s'il ne dévoile pas grand chose. On aimerait aussi comprendre l'attitude de ses parents, au début très compréhensifs puisqu'ils acceptent de le sortir du système scolaire suite à l'expérience traumatisante de la piscine, mais qui semblent se fermer à la fin, lorsqu'ils verrouillent leur maison et leur garde-manger.


Là n'est pas le propos de l'auteur : il a surtout voulu nous faire découvrir qu'une autre façon d'envisager les relations sociales est possible. Et qu'on aurait tout intérêt à mieux comprendre la sagesse animale. Car les chevreuils, eux, sont capables de vivre en harmonie avec leur milieu, sans le dégrader. Pas exactement notre cas, semble-t-il.

Jduvi
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le 12 mai 2021

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Jduvi

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