Frédéric Beigbeder reprend son personnage d’Octave Parango pour l’Homme qui pleure de rire, clôturant une trilogie, nous apprend-on, mais jusqu’à quand ? Car Octave est le double littéraire de l’écrivain mondain décalé, invoqué quand l'auteur a besoin de critiquer un milieu qu'il a bien connu. Dans 99 Francs il s’en prenait au monde de la publicité qui l’employait, dans Au secours pardon l’industrie du luxe était égratigné. Avec Octave Parango, Frédéric Beigbeder peut cracher dans la main qui le nourrit, pour mieux nous montrer ses ongles noirs.


Pour L’Homme qui pleure de rire, la critique commence par celle de ces chroniques matinales, de ces humoristes obligés de faire rire la Terre entière. Frédéric Beigbeder ayant été dirigé vers la sortie de France Inter suite à une chronique mal préparée, les ressemblances sont nombreuses, les noms à peine modifiés. De quoi faire parler quelques anciens collègues, mais aussi faire parler toute la presse du roman (qui l’a jugé dessus et ne l’a pas apprécié, étonnamment).


Frédéric Beigbeder a révisé la question du Rire, et cela se ressent, mais toutes ses remarques désabusées dressent un portrait dont émanent quelques aspects bien vus et qui amènent à réfléchir. Quel est le prix de ce rire qu’on veut susciter sur les radios publiques, quel message crée-t-il ? Ces tranches de rigolade permettent de s’en prendre à quelques têtes bien connues, souvent les mêmes, à plaisanter avec les petits camarades le temps de l’antenne, et autres petites facilités car il faut créer de la bonne humeur rapidement et efficacement. Les personnalités publiques qui voudraient se défendre seraient remis à leur place, on ne doit pas gâcher le Rire. Ces petites tranches de Hahaha n’ont pas vraiment de message, la coloration « bobo de gauche » et bien-pensante ne désarçonne pas, elle ne fait que suivre les idées du moment. Il y a d’intéressantes pistes contre cette dictature du Rire, même s’il semble que l’auteur n’ait pas retenu longtemps ses propres leçons, il est sociétaire des Grosses Têtes depuis septembre 2019.


Le roman se passant pendant le mouvement des Gilets jaunes, le regard d’Octave Parango sur ces individus est intéressant, mettant en parallèle l’inadéquation des bons mots du matin contre la situation réelle de ce que vit la France. Octave est intrigué par le mouvement, mais comme tant d’autres il se tient au loin, quand il s’en rapprochera de trop près il manquera de peu d’être agressé. Octave et Frédéric incarnent des figures du système. Ce mouvement leur laissera malgré tout une certaine sympathie, mais toujours à l’écart.


D’autres thématiques sont aussi abordées dans ce roman qui se veut la chronique des dernières heures d’Octave avant la chronique qui l’éjectera de la Radio publique. Octave boit, Octave se drogue, Octave drague, mais il s’agit surtout de pensées désordonnées, dans le chaos d’une nuit ou de celle d’une vie. Les revendications sociales sont évoquées, y compris celle des danseuses nues, mais aussi la libération de la femme ou l’amour d’une femme et des enfants. L’information mettra du temps à arriver après toutes ces réflexions en zig zag et ces quelques débaucheries qui n’ont plus le même éclat, mais Octave est marié, il a des enfants.


Et c’est peut-être parce qu’Octave/Frédérique est devenu vieux et casé, mais avec toujours envie d’abîmer ce qui l’entoure que le roman est peut-être le plus intéressant. Frédéric Beigbeder livre un regard nostalgique sur sa propre vie, sur ses pitreries d’adultes en bonnes compagnies. Ses compères ont vieilli, et la potacherie a été oubliée, tous occupent des places importantes, avec de hautes responsabilités. Il n’y a que Frédéric Beigbeder pour ne pas vieillir, les petites blagues ont disparu mais les excès sont toujours là. Que ce soit dans les drogues ou dans sa facilité à se saborder dans beaucoup de domaines qu’il entrepend.


Il y a donc ces regrets et ces souvenirs joyeux, et l’inadéquation avec ce monde moderne. Que reste-il du mondain déglingué, un peu perdu dans ce monde où le consentement est si important, où les nouvelles générations usent et abusent de leur téléphone portable et de réseaux sociaux dont ils sont à la fois les clients et les produits. Cet émoticône en gros sur la couverture est le symbole d’un langage dépourvu de son sens pour préférer les images. C’est peut-être la fin du monde à laquelle assiste Frédéric Beigbeder, en tout cas il a perdu celui qu’il a connu.


Faux roman satirique, fausse autobiographie crépusculaire, L’Homme qui pleure de rire est foisonnant, partant vers beaucoup de directions. Si les réflexions de Frédéric Beigbeder n’engagent que leur auteur, il en ressort malgré tout quelques arguments qui veulent en découdre, tandis que d’autres n’apparaîtront comme des jérémiades d’un homme perdu dans ce monde. Il faudra tirer les meilleurs fils de cette pelote bien emmêlée.

SimplySmackkk
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le 29 févr. 2020

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