L'Idiot
8.4
L'Idiot

livre de Fiodor Dostoïevski (1870)

Avant de commencer la chronique du roman, incontestable chef d’œuvre de l’écrivain, aboutissement jubilatoire pour son style très particulier, rappelons que la mouvance slavophile de l’époque, fervente défenseure de l’église d’orient, affirme avec certitude que c’est la Sainte Russie qui présentera au monde le visage du christ dans toute sa vérité. Sans artifice, sans mensonge, sans fausse interprétation, ce trésor inestimable est préservé par l’Orthodoxie russe au fil des âges. Fiodor Dostoievski appartient pleinement à cette mouvance et à cette idée en particulier :
L’Orthodoxie n’est elle pas la seule à avoir conservé le visage divin du christ dans toute sa pureté ? (Journal d’un écrivain, 1973)


Le personnage centrale du roman, le Prince Mychkine, n’est autre qu’une allégorie de la figure du christ : un homme à la bonté infini, dont les actes, les paroles et les pensées sont fondamentalement bons. Un homme dont la charité et la générosité vont réveiller dans son entourage d’abord des soupçons, puis des passions. Ce personnage est l’Idiot. Nous découvrons qu’un homme bon et honnête en tout point, dés qu’il fait son entrée dans la société bourgeoise de Saint-Pétersbourg est perçu comme un naïf et simplet. En effet, pas de place pour les bons sentiments et l’amour sincère et gratuit. Dans cette société, tout n’est que calcul, jalousie, ruse et conflit d’intérêt. Celui qui ne rentre pas dans ce système de valeur ne peut-être qu’idiot. Mychkine, tel le Christ, n’est pas de ce monde et comme le monde rejette Mychkine, il rejetterait tout aussi bien le Christ si ce dernier venait à revenir incognito. Un second argument à l’idiotie présumée de Mychkine est son mal encore méconnu à l’époque, l’épilepsie. L’auteur lui-même épileptique, inclus dans son roman les récits troublants et détaillés des crises d’épilepsie du point de vue de la victime : montée en puissance vers un état d’extase total, entre vertige et mysticisme, transport hors de soi-même avant le foudroiement, brutal, brusque. Ces crises décrites avec une authenticité et une précision hallucinante donne au personnage du Prince Mychkine toute sa sensibilité et sa fragilité face aux violences de l’Homme, face à ses propres pulsions.


L’intrigue complexe et intense est portée par des personnages hauts en couleur que l’on ne retrouve que chez Dostoïevski dont les principaux, les plus denses et extrêmes sont le couple Rogojine/Philippovna. Leur relation oscille entre passion, haine et folie. Rogojine n’est autre qu’un double, ami et rival amoureux, de Mychkine, personnification des sombres penchants de l’âme Russe (très similaire à Dimitri Karamazov). Anna Philippovna, femme slave dans tous ses excès : amoureuse et violente, ambigüe à souhait. Seule la fin de l’œuvre nous permet d’appréhender le caractère du personnage.


Porté par un style vif et entrainant, le roman est complexe et l’histoire n’est qu’un prétexte à une analyse sociale et psychologique de l’intrusion d’un élément pur et bon dans un milieu machiavélique et artificiel. Au final, l’image qui en ressort est la tendance collective mais concurrentielle à tirer vers les bas-fonds le pauvre prince Mychkine, que ça soit en salissant sa réputation ou en le rendant complice d’actes malfaisants.


Le dénouement, sans entrer dans le détail, purement et incontestablement Dostoïevskien, donne toute sa cohérence au personnage central de l’œuvre, figure incontournable de la littérature classique. En refermant le livre, après avoir adoré ou détesté son contenu, on ne peut s’empêcher de se demander comment tant de personnages, si profonds, si vivants et si réels peuvent-ils sortir d’un seul et même cerveau.

Bobbysands
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le 25 mai 2017

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