Je connaissais Florence Aubenas l'écrivaine grâce au très estimable Quai de Ouistreham, une plongée assez sidérante dans l'univers des "techniciennes de surface". Comme pour cette épopée nordique où elle n'avait pas hésité à mettre les mains dans le cambouis, la journaliste n'a pas fait les choses à moitié : elle a enquêté pas moins de 7 ans pour connaître tous les protagonistes de cette étrange affaire.
Avec empathie et sans jamais porter de jugement, elle nous les présente : les copines qui se retrouvaient pour causer à la poste avec la victime, le Futur Ex qui a mal vécu la rupture, le Nouveau sur le point de devenir père, Burgod l'ancien maire qui a besoin d'un coupable présentable pour le meurtre de sa fille, les Mercier, figures marginales retirées dans les bois, maître Frémion et sa soif de revanche sociale sur le barreau lyonnais, Tintin et Rambouille qui forment avec Thomassin d'improbables pieds nickelés...
Et puis Thomassin, l'énigme, l'homme aux cachets mirobolants aux yeux des gens du coin, qui parvient pourtant à vivre comme un SDF. L'ancienne star du Petit criminel (ça ne s'invente pas !). L'homme qui n'est jamais où on l'attend. Le vilain petit canard qui fait bien sûr un coupable idéal dans la petite commune de Montréal proche de Nantua, plus connue pour sa sauce que pour son lac. Un excentrique, mal vu dans ces contrées. Qui va atterrir en prison. Je suis toujours sidéré qu'on puisse emprisonner jusqu'à trois ans quelqu'un sans aucune preuve. Trois ans !! Il n'y aurait pas un petit problème dans notre système judiciaire ?
L'inconnu de la poste est aussi pour Florence Aubenas l'occasion de dresser un portrait d'une certaine France, celle des "territoires" pour employer un cliché actuel. Une France moins dans la misère que celle de Ouistreham, grâce à la fameuse Plastique Vallée dont j'ignorais l'existence - bien que Lyonnais. Au passage, voilà qui fera frémir le militant écolo, mais bon... Un coin à proximité de la métropole lyonnaise jalousée, qui donne pas mal l'impression de vivre en vase clos : tout le monde se connaît, les rumeurs vont bon train, les histoires circulent et les rancoeurs sont tenaces.
Et puis il y a ce coup de théâtre : l'Ambulancier, qui sort du chapeau ! La police aussi fonctionnait en vase clos, uniquement centrée sur Thomassin et Le Nain, des autochtones. Ce qui est intéressant c'est qu'on réalise, en prenant connaissance de la défense du suspect, que l'ADN trouvé sur le lieu du crime n'est en effet pas obligatoirement celui du meurtrier ! Même si le lecteur, je pense, aura tendance à voir en cet ambulancier le coupable. Mais la question reste ouverte. Et Thomassin a disparu.
Tout cela nous est conté avec un style très épuré : Florence Aubenas ne joue pas à l'écrivain, elle ne cherche pas à épater. C'est fluide et précis, exemplaire pour une journaliste. En un mot : estimable.
7,5