Neil, je vais m'adresser à toi directement si tu permets. En même temps, tu n'as pas vraiment le choix, hein. Et en français, ça sera plus simple pour moi. J'en ai fait de même avec Nick Hornby ton acolyte que j'ai découvert également cette année (à vous deux, que de N) ; il ne s'est pas plaint à ce jour. Je ne suis pas méchante et comme le chante Samwell dans sa croustifondante chanson "What what in the butt" : "Je ne mordrai pas, ou alors pas fort."


Ah, je te prie de me pardonner, je suis interrompue par... oh, mais qu'est-ce que tu fais là ? Regarde comme elle est choupinette ! Neil, je te présente Leslie, mais Leslie version 1985, quand elle avait 7 ans. Leslie Jr., voici Neil Gaiman. C'est un écrivain. Il a l'air sympa, surtout avec les enfants. Mais pas comme Francis Heaulme. Tu peux lui parler, mais ne t'approche pas trop de lui, on ne sait jamais. Bon, je vous laisse tous les deux, soyez sages.


Bonjour Monsieur Gaiman. J'ai voulu intervenir dans la rédaction de la Leslie plus ridée (en fait je suis dans tous ses écrits, mais elle ne s'en rend pas toujours compte) pour te dire que ça faisait très longtemps qu'on ne m'avait pas parlé comme toi tu l'as fait dans ton livre. Tu sais, qu'est-ce qu'on a pu m'en raconter, des histoires ! J'adorais ça, les histoires, en écouter, en regarder, en lire, en créer. Et les vivre, dans ma tête et dans mon jardin. Enfin, celui de mes parents, mais ce jardin, c'était un peu mon territoire aussi. A la fois, continent, royaume, île, village, jungle, refuge et j'en passe. J'en ai inventé des personnages et des situations. Moi, j'étais princesse, forcément, mais aussi aventurière, déesse, prisonnière, humaine, animal (comme toi, j'adore les chats), insecte (surtout une coccinelle), élément (la terre !), créature toute puissante, à la source d'un monde, protectrice de celui-ci et quelquefois un peu destructrice aussi, j'avoue. Mais j'arrivais à recoller les morceaux, toujours. Et puis, tu vois Leslie a grandi, vieilli, et elle a oublié involontairement presque tout ce que j'avais inventé et ce que j'avais vécu. Bon, il lui reste des bribes. Des fois, j'apparais pour le lui rappeler. Je sens que ça lui fait du bien. Et puis quelquefois, ça lui fait du mal. Ça la rend nostalgique, à ce qu'il paraît. Alors, comme je dois lui rendre la parole, ne prends pas trop à cœur ce qu'elle va t'écrire, elle est devenue un peu amère et cassante avec l'âge. Quoi, Neil ? Oui, ne t'inquiète pas, je l'aime et je la protège. Au revoir, Monsieur Neil Gaiman.


Ça y est, z'avez fini ? Non, parce que c'est pas tout ça, j'ai encore un dîner à préparer, une litière à nettoyer (eh oui, toujours les chats) et une critique à peaufiner.
Neil, je vais être franche : la première fois que j'ai lu ton prologue, il m'a foutue en rogne. Je n'y ai vu qu'un grand petit garçon geignard et égocentrique. Des "je" partout. Des tournures de phrase trop sentimentales, trop sirupeuses. Alors, j'ai reposé ton livre. J'ai attendu quelques jours. Et je l'ai recommencé, en m'efforçant de garder un esprit neutre, presque enfantin.


Et la sauce a pris. Bon, il y a encore bien trop de sirop à mon goût, y'a pas à tortiller. T'en fais un peu des caisses quand même, Neil. Tu sais ce que les lecteurs qui t'adulent, les grands enfants, attendent de toi. Et tu leur donnes sans compter. C'est généreux, mais c'est un peu trop pour les autres lecteurs, ceux qui ne sont pas particulièrement friands de ton univers et qui ne te considèrent pas comme un génie. Sois un peu plus subtil, Neil (ça rime). Et synthétique. Oui, je sais, de la part d'une nana qui ne sait pas rédiger une critique de moins de 20 lignes, c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité.


Ah, autre point, j'ai lu ton livre en français. Dieu sait à quel point je respecte et j'envie le métier de traducteur, mais force est de constater qu'à de trop nombreuses reprises, le style et/ou les mots employés cassaient le rythme du récit ou étaient peu appropriés. Dommage.


Enfin, Neil, le point crucial qui a fait hérisser mes poils (je ne suis pas toujours proprement épilée) : les femmes. Mère ou sœur à peine présentes, mais surtout fées, sorcières, magiciennes, monstres, tentatrices, dévoreuses ou héroïnes sacrifiées. Et puis l'océan, l'eau, source de (re)naissance, la mère originelle... Neil, dis moi, toi et les femmes, c'est compliqué ? Parce que tu sais, entre nous, c'est peut-être flatteur de nous voir comme des créatures sur-humaines mais tu vois tes lecteurs assidus qui ne jurent que par toi, ils finissent par y croire, à tes délires. Et c'est qui qui ramasse les morceaux ? C'est bibi, les magiciennes / fées / sorcières / succubes et tout le tintouin. Alors, la prochaine fois, lève un peu le pied sur "La Femme, cet être fascinant qui possède la magie de donner la vie, de créer un univers." Je préfère carrément passer sur le père pécheur et quasi assassin, caricatural. Tu auras deviné le pourquoi du titre de ma critique.


Alors, pourquoi un 8, Neil, si je suis aussi agacée que ça par plusieurs points ? Parce que je le répète, tu m'as l'air sympa, bienveillant, chaleureux. Je suis sûre que si je te rencontrais, j'aurais envie de te prendre dans mes bras, t'écouter et te parler. Parce que tu as vaincu les a priori que j'avais contre toi. Parce que j'ai dévoré ton bouquin en quelques jours (bon, il est court, mais quand je n'arrive pas à en décrocher, c'est que le livre a un truc en plus.) Parce que malgré les remarques négatives formulées, je garderai un formidable souvenir de ce moment de lecture. Parce que tu as (r)éveillé Leslie Jr. Parce que tu m'as donné envie d'écrire, quitte à en faire des caisses, quitte à en faire trop (un peu comme cette phrase), quitte à ne pas plaire, quitte à y croire.


J'avais prévu un autre titre à ma critique. Je te l'offre pour te remercier : "Un Neil fantastique"

LeslieLou
8
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le 7 oct. 2015

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LeslieLou

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