Les éditions ActuSF continuent à souffler le chaud et le froid, alternant inédit et réédition. Si Le Dernier chant d'Orphée m'avait plutôt plu, la novella de Nancy Kress a refroidi un tantinet mon exaltation. La faute à un traitement un peu nunuche et à l'amateurisme de cette réédition, mais de cela l'auteur n'est pas responsable.
Pourtant, l'histoire n'était pas complètement désagréable et sa dimension science-fictive apparaissait même très stimulante. J'avoue d'ailleurs avoir beaucoup phosphoré en la lisant. Mais au final, je suis quand même déçu. Comme on dit, tout est foutu !
L'une rêve, l'autre pas ne relève pas de la catégorie des perdreaux de l'année. Cette novella de 1991 a déjà fait l'objet d'une parution dans l'anthologie Futurs qui craignent, septième volume de la série d'ouvrages consacrés aux meilleures nouvelles parues dans Isaac Asimov Science Fiction Magazine.
Commençons par ce qui fâche vraiment : le prix. 12 euros pour un petit livre ne bénéficiant d'aucune plus-value, si ce n'est une interview complètement anecdotique, ça fait cher...
À titre de comparaison, la collection « Dyschroniques » qui œuvre sur un créneau similaire (réédition de classiques et format poche et assimilés), propose au lecteur un petit paratexte et profite d'une relecture plus soignée, faisant manifestement défaut chez ActuSF.
Pourtant, la traduction aurait mérité un bon coup de peigne, histoire de gommer quelques incongruités (les « Concorde III » et autre « modem » en guise de connexion Internet). La relecture aurait permis aussi d'éliminer les lourdeurs stylistiques pénibles, du genre page 47 un irritant «  tandis qu'une famille de 2019 vivait avec de l'énergie bon marché et la foi en le contrat en tant que fondement de la civilisation. »).
Le mieux est l'ennemi du bien, pourtant ici il n'aurait pas été de trop...
<<3615 mylife>>
Je confesse n'être pas un grand fan de Nancy Kress. Son « cycle de la Probabilité » m'est tombé des mains au bout du deuxième tome. La faute à un abus de clichés et à un récit passablement niais. Séduit par sa nouvelle au sommaire du recueil Utopiales 2012, je me suis toutefois dit que la dame méritait une seconde chance, ses textes courts étant peut-être davantage dignes d'intérêt, ce qui est souvent le cas en SF.
<<3615 mylife>>
Si les prémices de Lune rêve, l'autre pas semblent engageantes, l'histoire l'est hélas beaucoup moins. Nancy Kress avance des idées stimulantes, mais leur traitement peine à convaincre. C'est mièvre, mou et d'une consistance n'ayant rien à envier à un plat de jelly. Fort heureusement, les spéculations techno-scientifiques de l'auteur et leurs conséquences sociétales et intimes atténuent cette première impression.
Avec L'une rêve, l'autre pas, Nancy Kress imagine une sorte de méritocratie individuelle dans un futur où l'énergie ne pose plus problème. Exit les vieux systèmes, sociale-démocratie et communisme, tous deux jugés trop coercitifs. À la place, certains préconisent le Yagaisme, philosophie économique se fondant sur « le contrat », sorte d'échange inter-mutuel entre individus égaux.
« La valeur d'un homme pour la société et pour lui-même ne repose pas sur ce qu'il croit que les autres gens devraient faire, être ou ressentir, mais sur lui-même. Sur ce qu'il peut vraiment faire et bien faire. Les gens échangent leur savoir-faire, et tout le monde en bénéficie. »
Un propos dont la teneur n'est pas sans évoquer quelque peu la manière de penser du courant libertarien.
Avec une telle philosophie se pose bien sûr la question de l'échange inégalitaire. En effet, tout le monde n'est pas pourvu du même potentiel malgré les efforts fournis. Que devient la personne faible ou incapable d'échanger avec l'autre, du moins d'échanger quelque chose d'une valeur comparable ? En ce cas, jusqu'où peut aller la générosité d'autrui ?
À ces questions éthiques, Nancy Kress répond via l'histoire des jumelles Camden. Filles du financier Roger Camden, vedette du Wall Street Journal, les deux sœurs ne jouissent pas du même statut.
Préférée de son géniteur, Leisha est née des œuvres conjointe de la nature et de la génétique. Elle est une enfant à la « carte », programmée pour être belle, intelligence et pourvue d'une modification des gènes rendant le sommeil superflu. En fait Leisha ne dort jamais, mettant ainsi à profit le temps libérée par cette inactivité fâcheuse pour travailler davantage.
Pour sa part, Alice est un accident. Un ovule naturel fécondé par hasard au cours de la même opération d'implantation et, par voie de conséquence, dévalorisée aux yeux de son père et à ses propres yeux.
Leisha (la Non-Dormeuse) et Alice (la Dormeuse) bénéficient cependant de la même éducation, mais l'attention de Roger Camben se porte fatalement surtout sur Leisha. Un processus n'étant pas sans générer frustration, traumatisme et quelques frictions dans la famille.
Sur cette trame familiale et intime, Nancy Kress greffe une intrigue de nature plus générale. Leisha est en effet loin d'être unique. Elle appartient à un groupe d'enfants pourvus de la même capacité génétique. Si leur particularité ne suscite au départ qu'un peu de curiosité, en grandissant elle provoque l'inquiétude. Les Non-Dormeurs commencent à donner leur pleine mesure, provoquant de l'incompréhension et de la jalousie. Et lorsque l'on découvre qu'ils peuvent transmettre leur singularité à leur descendance, donnant ainsi naissance à une nouvelle souche humaine qui jouit de surcroît d'une sorte d'immortalité, les événements se gâtent. La peur s'empare des hommes donnant libre cours aux habituels réflexes de violence. La ségrégation se développe dans certains États et les premiers Non-Dormeurs subissent les mauvais traitements de leurs parents.
Mais tout ceci est à peine esquissé, faute de place. Et, je n'ai pu m'empêcher, en refermant le livre, de trouver L'une rêve, l'autre pas inabouti.
Quand on sait que cette novella a été ensuite déclinée sur trois romans et une novelette (le cycle « Sleepless »), on se doute que Nancy Kress elle-même a considéré que le sujet n'était pas épuisé.
Personnellement, je ne suis pas sûr d'avoir envie de creuser en anglais le sujet...
leleul
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le 15 mars 2013

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leleul

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