Les lecteurs de ce blog connaissent mon goût pour l’Histoire. Évidemment, pas celle qui s’écrit comme un roman national dans le but de défendre une identité figée dans l’ambre des préjugés. Non, la véritable Histoire. Celle qui développe la connaissance de l’autre et permet de s’émanciper. Une enquête méticuleuse où l’analyse et la critique des sources permettent d’éclairer (un peu) les zones d’ombre du passé. Un lent travail d’élucidation sans cesse remis en question par de nouvelles sources, de nouvelles grilles de lecture et de nouvelles perspectives.
À bien des égards, la tâche paraît vouée à l’échec tant le passé de l’humanité reste en grande partie inconnu faute de sources suffisantes et fiables. Pourtant, loin de baisser les armes, l’historien s’échine à questionner le passé, mobilisant à la fois la rigueur de la science et son imagination. Dans sa démarche, il doit cependant se garder de la tentation de vouloir plier le passé à ses idées et accepter le débat.


Ahem !


Arrêtons-là le pensum, de peur de faire fuir les quelques curieux tombés sur ce blog par le hasard d’une recherche sur Armand Cabasson. Car, s’il y a bien un domaine dans lequel l’imagination prévaut, c’est celui de la fiction.
Étudiant en Histoire, j’ai toujours considéré l’uchronie, le roman historique, voire la fantasy historique comme un à-côté divertissant. J’en ai d’ailleurs lu beaucoup. Du médiocre, du n’importe nawak, du fun, de l’impressionnant et bien d’autres…
Avec Armand Cabasson, les mots me manquent. Mon opinion oscille entre un simple « bof » et un banal « ouais, pas mal ». Pour être plus explicite (et ainsi éviter les gros mots), à deux exceptions près, je n’ai pas grand chose à reprocher aux neuf nouvelles de l’auteur à part leur faiblesse globale et le caractère répétitif de leurs ressorts. C’est d’autant plus embêtant que j’ai apprécié leurs décors et leurs atmosphères.


Comme annoncé en quatrième de couverture, en cela il n’y a pas tromperie sur la marchandise, La Chasse sauvage du colonel Rels tente de concilier l’Histoire, le fantastique et la fantasy en lorgnant beaucoup du côté du folklore. Le procédé n’est pas nouveau. De nombreux auteurs l’ont déjà utilisé avec plus ou moins de bonheur (liste exhaustive non fournie).


Ici, Armand Cabasson se cantonne aux thématiques historiques et psychologiques, la part de l’Imaginaire demeurant tout au plus homéopathique.
On navigue ainsi entre le Moyen-âge et le XIXe siècle, via les États-Unis, l’Europe et le Japon. La Peste noire, les invasions vikings, la période de la guerre des provinces au Japon, la Russie à l’époque des invasions mongoles, la guerre civile américaine, l’Inquisition espagnole, l’auteur met son érudition au service de ses marottes : la guerre, la violence et la psychologie déviante.
Hélas, ses nouvelles manquent désespérément de chair. Les combats succèdent aux batailles et Armand Cabasson décline une galerie de portraits qui peinent à susciter l’enthousiasme. À vrai dire, c’est un peu toujours les mêmes personnages qui interviennent, quels que soient l’époque et le lieu…


Seuls deux textes échappent au désastre. Pour commencer, « Giacomo Mandeli » où l’on côtoie la perfection. La nouvelle nous emmène en Espagne au XVe siècle, époque où l’Inquisition fait régner la terreur sur la péninsule. Convoqué par l’institution, Giacomo Mandeli se voit confier la mission de peindre le Diable. Un portrait aussi réaliste que possible afin de fortifier la résolution des inquisiteurs. L’artiste se trouve ainsi contraint de fréquenter les culs-de-basse-fosse afin d’entendre les mensonges des suspects d’hérésie, tout en supportant la duplicité et l’impatience des religieux. Un défi qu’il prend très au sérieux, le bonhomme étant lui-même obsédé par la quête de la vérité dans l’art. Bien menée, l’histoire n’accuse aucune faiblesse, et en dépit d’une chute prévisible, on souffre littéralement au côté du peintre.
Plus contemporain et sans doute borderline par rapport à la thématique du recueil, « Les Mange-Sommeil » se déroule en Irlande. L’auteur y adopte le point de vue d’une petite fille frappée par la mort de son jeune frère. Récit de deuil matinée d’une pincée de féérie, ce texte est celui qui touche au plus juste d’une émotion pointant aux abonnés absents dans le reste du recueil.
Des autres nouvelles, je ne dirai rien, si ce n’est que je me plais à imaginer (hérésie !) ce qu’Armand Cabasson aurait pu faire avec davantage d’originalité.


Bref, la montagne accouche d’une souris. Dommage…


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leleul
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le 3 juin 2018

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