La Conspiration
7.5
La Conspiration

livre de Paul Nizan (1938)

Nizan, le mec qui croit savoir écrire des livre "young adult"

Livre spectaculaire avec un tel grand écart d'intérêt suscité entre la première partie et la deuxième/troisième.


J'ai sincèrement cru que ce livre allait entrer dans la catégorie très rare des bouses intersidérales rencontrée dans ma jeune """carrière""" de littérateur. On suit l'histoire de Bernard Rosenthal, Philippe Laforgue, Pluvinage (et deux autres personnages qui ne servent à rien dans l'histoire, sérieux pourquoi ils existent alors ?)


Mon Dieu cette première partie avec ces insupportables normaliens blancs becs snobs, irrévérencieux méprisant envers à peu près tout ce qui existe autour d'eux. Ça balance des "pas de kantisme ici haaann" au milieu d'une conversation absolument banale. Et puis leur projet de revue "la guerre civile" qui diffuse des idées anti-droite (le mot est un peu tendancieux) mais c'est risible, on dirait des gosses privilégiés qui décident de se mettre à gauche pour se permettre de donner des leçons : "ouais nous on a du vécu hannnn" "les boomeurs (terme anachronique) sont des cons". Tu sais même pas si c'est des amis, des bons camarades. Non c'est juste des mômes qui donnent l'impression d'avoir tout compris sur Nietzsche et qui jugent bon de jouer les pseudo-révolutionnaires, on a pas envie de se plonger dans l'histoire avec eux tellement ils sont antipathiques et le mot est faible. Et là j'ai plein de question : le livre paru en 1938 et présenté comme le récit le plus abouti de Nizan est il une parodie volontaire de celui-ci sur ses années universitaires pour bien montrer sa rupture avec le PCF d'alors?


Donc après, ils décident de se lancer dans l'espionnage, parce que pourquoi pas, ils demandent à un idiot utile de voler des plans de la défense de Paris pour les donner à je ne sais qui ? Ça échoue lamentablement et on en reste là. C'est parfaitement inutile comme passage, c'est pas nul, c'est inutile ça ne sert à rien dans l'histoire. J'ai l'impression que Nizan a voulu écrire un pamphlet sur les vertus du communistes de l'action face aux socialistes mous. Au final on a juste des pistes de ce genre qui sont données sans que ça aille plus loin l'air de dire "de toute façon j'ai raison rien que sur ça non ?"


Bref, j'avais entendu parler de Nizan avec son fameux "j'avais vingt ans" et j'étais content de le découvrir mais là il allait rejoindre Virginia Woolf dans le placard des indésirables. Je me disais que c'était dommage tant le contexte du livre est bien planté : les années 20, les conséquences de la guerre de 14, des jeunes désabusés par leurs ainés qui décident d'élire la fameuse "chambre bleu horizon" (on dirait que c'est intemporel cette opposition jeunes/ainés) les accords de Dawes, la crise de 29. Même le congrès de Tours est mentionné pour expliquer que les personnages deviennent communistes. Cette première partie censée poser le décors est bâclée. Elle reste en surface et le livre pourrait très bien exister sans, il demeurerait toujours (presque) aussi compréhensible


Et puis vient la partie 2 avec cette relation amoureuse entre Catherine et Bernard dans un trou perdu de Normandie.. le récit change complètement de ton, on y voit un Rosenthal complètement hébété d'amour pour sa belle sœur, son combat existentiel prend un autre côté. Bernard est attiré amoureusement par la fille mais aussi idéologiquement : il veut la tirer de la vie bourgeoise imposée par son mariage, il y a des dialogues très durs entre les deux parce qu'évidemment elle n'y comprend rien.


Et puis viens la scène où cet adultère est découvert et elle arrive comme une bombe. Elle m'a laissé pantois. L'impudence de Bernard qui tient tête à ses parents, qui en parfait bourgeois choisissent de passer l'éponge, c'est bas, c'est lâche. Bernard voulait secouer sa famille, l'ordre établi, il emmerde la guerre, les poilus, Aristide Briand et les Allemands. Lâche, il ne le sera pas, pour lui la vie au delà de l'ordre est tellement importante qu'il est prêt à se liquider pour à la fois donner raison à ses parents et pour stopper cette situation insupportable pour lui. Et puis ce personnage qui me laissait parfaitement indifférent disparaît. Personne ne le pleure, on le méprise même, ça rend le livre très noir, très dérangeant et j'aime bien.

Dès lors, on perçoit un propos très cynique ou existentialiste dans ce livre (pas étonnant que Sartre ait aimé), tu veux changer le monde, il faut adopter la résistance de manière absolue, et tu choisis de le faire. C'est l'éternelle opposition entre ceux qui agissent et ceux qui se complaisent dans l'ordre établi. Cela explique le traitement du personnage de Bernard. La réaction de ses camarades qui le pleure à peine et qui comprennent tout de suite ce qui s'est passé, la réaction de Catherine, qui coupe un peu les ponts avec sa belle famille, comme pour donner raison à Bernard est aussi flippante.


La troisième partie c'est les aveux de Pluvinage qui a dénoncé la bande à la police, bon en gros il a un complexe d'infériorité parce qu'il vient d'une famille de ploucs et il était trop impressionné par Laforgue et Rosenthal, les deux grosses têtes amateurs de fille bien qu'incels. Donc voilà, c'est très psychologique et ça confirme le propos général du film de l'héritage social et de son destin.


On voit ensuite Laforgue, qui clos le livre alors qu'il tombe gravement malade, pour ensuite survivre à sa maladie. Le livre se termine sur

Fallait-il donc risquer la mort pour être un homme ?

L'air de dire, la récré est terminée, comme si toute cette histoire était ce qu'un réac appellerait un caprice de mioche qui finit par découvrir la vie. Qu'on trouve ça nul ou non, des mômes qui rentrent (ou pas) dans le rang, cette fin douce amère demeure très belle.


Je ne sais pas si Nizan pensait écrire un livre sur l'adolescence mais il s'est bien vautré, à la place on un livre type "le Diable au corps" parlant d'un amour interdit et volontairement politiquement incorrect et des origines sociales qui finissent toujours par rattraper. L'ambiance très noire fait presque penser à un livre dystopique. En tout cas écrire un livre aussi nul qui devient un livre aussi bien, ça c'est de l'art avec un grand A.

Sabascoco
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le 23 oct. 2025

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Mathieu

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