Ce court livre paru en 2012 est la retranscription d’un dialogue entre Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis, lors d’une émission de télévision diffusée en Mars 1986 sur une chaîne anglaise, suivi d’une excellente postface de Jean-Claude Michéa.

Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis abordent ici les changements moraux, psychologiques et sociétaux induits par le capitalisme moderne, hélas sans pouvoir aborder, dans ce trop court dialogue (télévision oblige, déjà en 1986 !), les pistes vers ce qui pourrait constituer une alternative.

«Le fond du problème, c’est que l’accroissement de la consommation et de la satisfaction dans la vie privée est un accroissement du rien.»

La société de consommation moderne nous entraîne vers une humanité atomisée : Chacun tourne le dos aux intérêts communs, aux liens de la communauté et aux activités publiques et se retranche dans une sphère privée, la famille et un petit nombre d’amis. Plus de projet de société, plus d'horizon de temps porteur d'un projet public (hors, bien sûr, des échéances électorales) : la société moderne se caractérise par l’abandon de la vie publique. Dans un espace public qui est maintenant vide, sous l’emprise des medias, les individus sont seuls, même dans la foule des grandes villes, individus-consommateurs transformés en jouets passifs de leurs fantasmes, devenus des "atomes isolés sans conscience générique", réduits à un moi minimal et narcissique entraînés par leur vide intérieur à "s’épuiser psychologiquement dans des taches de survie quotidiennes".

Comment trouver son identité et son rôle dans ce monde sans projet, dans ce monde instable fait d’images fugitives qui tendent à acquérir un caractère hallucinatoire, dans ce monde où il n’y a plus non plus de reconnaissance durable des individus ? "Dans un monde où tout est possible en un sens, rien ne l’est. Et puis les frontières entre le moi et le monde environnant tendent à se brouiller de plus en plus."

Dans cette société vidée de projet, Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis soulignent la disparition de tout réel conflit social ou politique. Du XIXème siècle aux années trente ou quarante, il y a eu les mouvements féministes et ouvriers. Aujourd’hui tout se passe comme si les gens concluaient qu’il n’y a rien à faire, et qu’il faut donc se replier sur soi, avec la domination accrue sur les peuples, par la production mais aussi par la consommation. Et la politique devient de plus en plus une question de groupes d’intérêts particuliers, cause ou effet du déclin de la parole publique : il n’y a plus de parole publique quand les revendications mises en avant sont celles de groupes particuliers.

Rien n’a fondamentalement changé depuis ces années 1980, années flamboyantes du libéralisme capitaliste. Cependant, en 1986, les effets de l’ascenseur social cités par Christopher Lasch se faisaient encore sentir, alors que la crainte du déclassement est aujourd’hui généralisée dans un monde qui est de plus en plus instable. Mais avec la disparition de l’espoir et la menace écologique, de plus en plus de gens pensent qu’on peut et qu’il est indispensable de faire quelque chose, souvent localement, et peuvent aujourd’hui communiquer entre eux grâce aux "nouvelles" technologies par ailleurs si criticables. On souhaite que les petits ruisseaux forment une grande rivière.
MarianneL
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le 12 mai 2013

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MarianneL

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Mériterait peut-être un peu plus, mais la note paraît suffisamment élevée pour un livre d'à peine 100 pages qui n'apprendra pas beaucoup aux lecteurs de Lasch (donc de Michéa).

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