L'aventure de Geralt vue par les autres

Le récit des aventures de Geralt de Riv prend fin, après deux tomes consacrés à des nouvelles et cinq autres dédiés à la véritable trame.

De tome en tome, Andrzej Sapkowski a magnifié son style. De manière générale, la lecture de ce cycle a toujours été un plaisir. L’écrivain sait retranscrire l’étrangeté d’une rencontre, la fureur d’un combat ou encore l’irrésistible soif de l’autre. Chaque page fut un plaisir grâce à cette plume vive et fluide.

Pour autant, il est difficile de s’emporter sur les superlatifs une fois la dernière page tournée. Car s’il a su créer et développer un univers formidable ainsi que des personnages au charisme dément, Sapkowski a aussi oublié de captiver et d’associer son lecteur.

En choisissant de changer en permanence de point de vue, il a délié son récit et a privé le lecteur de tout souffle épique, de tout ressenti.

Lorsque l’aventure se termine, l’impression de ne pas avoir été aux côtés des héros est saisissante. Geralt est tout simplement passé au second plan, comme Yennefer par ailleurs. Seule Ciri, qui s’avère être l’héroïne du récit, continue de bénéficier d’un traitement régulier.
Le véritable problème vient des seconds rôles qui prennent beaucoup trop de place. S’ils sont toujours dignes d’intérêt, confirmant le talent de Sapkowski pour rendre appréciables ses protagonistes, ils finissent presque systématiquement par mourir, disparaître ou être abandonnés au bout de cinquante pages de présentation.
La pratique devenant coutume, le lecteur finit par essayer de deviner comment va disparaître chaque nouveau personnage introduit.

À vrai dire, l’auteur perd un peu le lecteur à force de lui imposer des personnages qui n’ont qu’une importance relative. Surtout qu’à côté de cela, il ne se prive pas pour développer un univers complexe, à travers de multiples époques, dimensions et lieux. À choisir, le lecteur aurait préféré être privé des passages dispensables pour pouvoir se concentrer sur la partie délicate et intéressante, le nœud spatio-temporel, les tensions entre les peuples et les dizaines de personnages politiques au milieu desquels il est difficile de se retrouver.

Le dernier livre, moins porté sur les changements de point de vue que le précédent, développe à l’excès un autre mécanisme : le changement de dimensions. Au départ réjouissante, cette pratique finit par fatiguer le lecteur qui ne s’intéresse plus à ce qui se passe et attend avec impatience l’avancée scénaristique cruciale.

Trop conscient de son talent, Sapkowski use et abuse de mécanismes qui lassent.

Ces griefs peuvent donner l’impression que la lecture fut pénible. En réalité, elle fut captivante pour l’intégralité du cycle. Il ne s’agit que de légères frustrations.

L’une prédomine toutefois et gêne à l’heure de l’appréciation finale : la désagréable sensation de ne pas avoir accompagné autant que souhaité les personnages principaux, comme si l’on était passé à côté de l’aventure.

À noter un dernier reproche s’agissant du peu de cas fait du destin tragique réservé à certains personnages secondaires qu’on avait appris à aimer. Aussi vite morts, aussi vite oubliés. L’auteur laisse peu de place à l’émotion, laissant parfois poindre l’indifférence.

C’est d’autant plus regrettable que tout le reste est remarquable. Quelques séquences valent leur pesant de cacahuètes et apportent une bonne dose d’aventure. La fin, douce amère, est sublime. Il s’avère difficile de dire au revoir aux personnages principaux, signe s’il en fallait encore que Sapkowski a su nous les rendre crédibles et importants.

Il s’agit là de la plus grande réussite de ce cycle.