Tous les romanciers contemporains, ou presque, semblent d'être donné le mot : autant que le contenu ou le style, la forme la plus complexe doit prévaloir. Œuvres polyphoniques, temporalités chahutées, narration éclatée : bien des récits préfèrent faire compliqué alors qu'il serait autrement plus efficace de choisir la simplicité. La femme révélée de Gaëlle Nohant a au contraire opté pour le classicisme et on l'en félicite : une première partie à Paris, dans les années 50, agrémentée de nombreux flashbacks pour expliquer les raisons de l'exil de son héroïne, une deuxième située à Chicago, alors que des émeutes agitent la ville. Il y a un côté désuet dans l'ouvrage qui est fort agréable, rehaussé par l'écriture impeccable de Gaëlle Nohant. Portrait de femme blessée et en fuite, donc, et aussi d'époque entre le Paris de l'après-guerre, avec notamment ses caves et son jazz, et l'Amérique en plein cauchemar du Vietnam, avec une contestation croissante, réprimée dans le sang. La romancière est à l'aise sur tous les tableaux mais son intrigue souffre un peu, avis personnel, d'une sorte de manichéisme dans la caractérisation de ses personnages qui sont vraiment divisés en deux catégories bien distinctes : les bienveillants et les autres, ces derniers manquant certainement de nuances. Cette vision très tranchée est très perceptible dans la partie américaine de la vie de son héroïne (mais aussi un peu en France) où certains "méchants" sont traités sans ménagement (le mari, le maire de Chicago). Le monde selon Gaëlle Nohant, plus de 50 ans après les événements qu'elle décrit, est peut-être trop clairement scindé entre les exploiteurs et les opprimés et son livre devient alors quelque peu sentencieux et moral, sans laisser suffisamment de place au lecteur pour faire la part des choses. Le côté délicat, sensible et très humain de la majeure partie de La femme révélée est alors remplacé par une volonté de convaincre qui dépasse le romanesque avec une démonstration un peu trop assénée dès lors que le choix du camp à suivre est l'évidence même, surtout avec le recul historique. Ce n'est pas que Gaëlle Nohant devient donneuse de leçons mais elle en oublie in fine le fin portrait de femme qu'elle s'est ingéniée avec talent à dessiner sur de nombreuses pages.

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le 15 févr. 2020

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