Intégrée à l'ensemble des Pièces costumées avec « L'Alouette », sur Jeanne d'Arc, et l'excellente « Becket ou l'honneur de Dieu », « La Foire d'empoigne » est une de ces comédies tristes qu'affectionne Anouilh, qu'il a montée en 1962 à la Comédie des Champs-Élysées.


Nous sommes au début des Cent-Jours. D'Anouville, un jeune lieutenant naïf et exalté de l'empire, déploie toute sa passion pour un Napoléon gouailleur et cabot, en vieux tragédien sur le retour qui connaît la musique. Mais la roue de l'histoire ne s'arrête jamais et ce sera bientôt au tour du Bourbon, en grand Charles cynique, de reprendre son trône. Avec toujours l'ombre noir – mais surprenante ici – de Fouché gravitant entre ces deux pôles, la pièce sera l'occasion pour D'Anouville de recevoir trois leçons de paternité douces-amères par ces trois dirigeants en représentation constante.


La pièce est assez étonnante. Si l'on peut retrouver certains points importants du canon d'Anouilh, comme la démystification de l'exercice du pouvoir pris dans une métaphore avec l'exercice de la responsabilité paternelle, ils passent ici plutôt par un traitement satirique imitant vaguement le wit à l'anglaise. L'esthétique globale de la pièce est d'ailleurs censée référer, dans la didascalie liminaire, aux caricatures de ce pays contre le Corse, et un parallélisme très net, bien que très habile, vient se dessiner entre les événements des Cent-Jours et de la Restauration et le retour des Français de l'extérieur après la libération.


De cet étrange exercice d'anglomanie, Anouilh fait un imbroglio parfois un peu décousu, qui questionne la politique de l'après-occupation en France, tout en montrant le désarroi d'un jeune homme plein de sentiments mais incapable de remarquer la défaillance de ses différents modèles, trop fous, trop cruels, trop cyniques, trop impuissants toujours. Il est un peu difficile de voir exactement dans quelle proportion ces deux grandes tendances de la pièce peuvent se rejoindre, à moins de considérer qu'on puisse rapprocher métaphoriquement le lien patriotique avec le lien paternel. Je ne me figure pas vraiment l'idée.


On retrouvera tout du moins avec toujours le même plaisir l'artisanat incroyable pour le dialogue qu'a toujours maîtrisé Anouilh, et malgré l'étrangeté du dispositif, « La Foire d'empoigne » reste un beau commentaire sur la façon dont l'histoire chasse et bute. Et sur notre propre difficulté à nous construire au milieu de ces crises.

S_Gauthier
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le 9 avr. 2021

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