La Mer du Nord pour dernier terrain trop vague

Le style de la Grande Nuit, j’ai l’impression de le connaître par cœur. C’est le style de la littérature de gare au sens le plus péjoratif du terme, des fan-fictions lorsqu’elles sont écrites en français correct, des sujets d’invention du baccalauréat lorsque le candidat se contente de suivre les consignes et peine à se détacher de la façon d’écrire d’un Chattam, d’un Musso ou d’un Lévy. Dire qu’Adamek a publié ça à presque soixante ans… (Et encore, quand je parle de français correct, je passe sur une phrase comme « Le Padre lut quelques phrases auxquelles personne ne comprit le rapport avec le vol de la barque. », chap. XVII, p. 230 de la réédition « Espace Nord »…)
Continuons à faire le prof. La Grande Nuit est un massacre dans ses piteuses tentatives pour en jeter, en mettre plein la vue. Prenez une phrase telle que « Ils remarquèrent tous deux que leurs paroles projetées dans l’obscurité prenaient une consistance presque matérielle » (p. 24). Puis demandez-vous à quoi pourrait renvoyer une consistance qui ne soit pas matérielle ; autrement dit, quelle pourrait être la consistance de paroles avant qu’elles deviennent « matérielles »…
Je ne parle pas de l’utilisation des points de vue dans le roman : il n’y en a pas. C’est un enchaînement de phrases qui ne proposent pas le moindre regard. Ni froideur assumée, ni bouillonnement. De l’eau tiède.
Il est logique que le récit, stylistiquement nul, soit thématiquement et scénaristiquement quelconque. Des personnages d’horizons divers qui reconstituent tant bien que mal une micro-société, c’est l’enjeu de tout récit post-apocalyptique. Que ces personnages constituent finalement une galerie de types, plus que d’individus, donne à la Grande Nuit une dimension démonstrative qui, dans les bons récits post-apocalyptiques – mettons la Route ou Quinzinzinzili –, vient d’elle-même. De même, des considérations à propos d’humains qui ont « anéanti des milliers d’espèces, corrompu les sources et les mers, massacré leurs frères pour un champ de pétrole ou quelques galets d’uranium, souvent aussi pour la gloire imbécile des drapeaux » (p. 118), ça sent le passage obligé. Le cahier des charges du genre est respecté. Mais après ?
En définitive, le lecteur n’est jamais sollicité : on lui mâche tout, il n’a pas le moindre effort à faire. Alors, oui, ça se lit facilement, mais ce n’est pas parce que c’est facile que c’est intéressant, ce n’est pas parce que c’est facile à lire qu’il faut le lire. (Quand je vais pisser aussi, c’est généralement facile : est-ce que pour autant c’est intéressant ? mémorable ? plaisant ? En ne faisant que du facile on marcherait encore à quatre pattes.)

Alcofribas
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le 31 mars 2017

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