De temps à autre avant de réattaquer un gros pavé, je cherche une lecture courte. Et Annie Ernaux est souvent l’autrice toute désignée pour ce moment. Comme dans la plupart de ses écrits, Annie Ernaux part d’un évènement, d’une personne, d’un lieu, le décortique et réfléchit à haute voix autour.
J’entame donc ma lecture tout de suite en terrain connu, et j’ai le plaisir de retrouver la plume ultra vivante d’Annie Ernaux. J'aime ses digressions entre parenthèse, ses petites pensées connexes qui rendent le tout très vif. Elle écrit comme elle pense, et de fait possède une plume véritablement unique. On sent que c'est viscéral d'écrire chez elle, il FAUT qu'elle écrive. Ici, c’est pour se débarrasser de quelque chose, exorciser cette émotion du jour où son père a voulu tuer sa mère. Elle prend ainsi quelques dizaines de pages pour expliciter l’exercice littéraire qu’elle va faire, à savoir rechercher dans son environnement de l’époque (sa ville et son école) les bons termes pour expliquer cet évènement vécu à ses 12 ans.
Mais malheureusement cette écriture si forte et claire, tend à se perdre dans cette plongée dans le passé. Annie Ernaux s’interroge, tente de retracer d’abord les mœurs de ce petit village Normand d’après-guerre, et liste beaucoup (des anecdotes, des objets, des gens…). Petit à petit, on se rend compte que cet évènement tragique qui ouvrait le roman, n’était finalement qu’un point de départ pour explorer son passé. Au travers de ses souvenirs, elle tente de percer à jour cette fameuse honte qui a suivi la tentative de féminicide. On a d’ailleurs un peu de mal à faire le lien entre cet évènement et sa honte de classe qui s’en suit. Mais au final, on voudrait qu’elle parle plus d’émotion, de si elle en veut toujours à son père aujourd’hui etc… Mais ça n’est pas son objectif.
En soi, ça ne pose pas de problème, mais on sent qu’elle même semble un peu perdue. Plus qu’un véritable livre terminé, on a la vague impression de lire un premier brouillon. Son objectif d’écriture ici est un peu flou, et ça l’est aussi pour le lecteur. Même elle le reconnait : peut-être qu’il n’y a aucun sens à lier tout son été 1952 à cette tentative de tuer sa mère par son père. Bien entendu, le livre reste pertinent, intéressant à plusieurs égards (pour la superbe écriture de son autrice ou pour sa description très précise de son époque), mais je le trouve clairement en deçà d’autres de ses œuvres comme L’évènement ou Une Femme.