Prague, 1917. La ville vue depuis le château. Un incident surgit une nuit : on surprend dans le jardin du médecin de la cour, Thaddée Flugbeil, surnommé Le Pingouin, un acteur populaire, Zrcadlo (prononcer Zertsadlo), en état de somnambulisme ; Liesel, bohémienne, ancienne prostituée et voyante, vient le chercher. Elle est un ancien amour de jeunesse (et seul amour) de Flugbeil, qui va la revoir, et découvre un grabat immonde : la guerre a rendu la condition du peuple impossible, la ville est une poudrière, ce dont le médecin, même en observant avec son télescope depuis le Hradschin (le quartier du château) se rend difficilement compte. On suit ensuite deux jeunes gens : Ottokar Vondrejc, le fils du gardien de la Tour de la faim (Daliborka), un violoniste obsédé, comme possédé par la pensée de Polyxena, la jeune nièce de la vieille comtesse Zahradka, une originale. On sent comme une insurrection qui monte...


Après une scène montrant Flugbeil dans une brasserie s'étonnant des trous dans les journaux (dus aux articles caviardés) et témoin d'une aweysha (possession chez les Indiens) de l'acteur Zrcadlo, on suit Polyxena. Alors qu'approche la fin du mois d'avril, qui commémore l'ancienne fête de la nuit du Walpurgis, elle doit assister à une fête, la seule de l'année où les maîtres et les domestiques mangent ensemble, et remarque un cocher russe à l'attitude fort blochévique. Dans la nuit, elle sort jusqu'à la tour de la faim et y épie une réunion de conjurés. Certains disent avoir préparé des explosifs pour faire sauter le château. Le cocher exhibe Zrcadlo, et semble tenter de le posséder, mais Polyxena intervient, puis une 3e force inconnue, et c'est finalement le fantôme de Jean Zizka qui parle à travers l'acteur. Polyxena fuit devant un bossu, en réalité un mouchard déguisé, Stefan Brabetz.


L'appartement de Flugbeil, qui a fait ses bagages en vue de son séjour annuel à Carlsbad, et une série de visiteurs qui décrivent l'insurrection qui vient d'éclater. Le baron Elsenwanger, en partie fou, raconte que ses serviteurs l'ont abandonné, que Zrcadlo s'est poignardé après avoir demandé que sa peau soit tendue sur un tambour. La comtesse Zahradka, qui vient demander comment charger un pistolet du XVIIIe. Liesel, qui déclare une dernière fois son amour à Flugbeil, et lui conseille de fuir. Elle aide Flugbeil à trouver un pantalon, lui raconte un rêve qu'elle a fait d'un être démoniaque habillé juste d'un pagne et d'une mître : le diable, puis disparaît à la première explosion. Flugbeil met son habit de cérémonie, sort, voit le cadavre de Liesel, part dans un état second. Lorsque sa carriole a une roue brisée, il est poussé à monter sur une voie ferrée et se laisse écrasé, comme hypnotisé, par le train qui transporte les soldats autrichiens venus réprimer l'insurrection.
On revient à Prague. Ottokar, proclamé roi du monde, se prépare à être marié à Polyxena. Il a besoin d'une couronne, et ses troupes font route vers le palais de la comtesse Zahradka, qui sort et tire dans la tête du jeune roi en lui criant "Tiens, tu l'as, ta couronne, bâtard !" (digne d'un Bruce Willis). La répression arrive. On finit sur le serviteur de Flugbeil, qui arrache la page du calendrier de ...la Nuit de Walpurgis.


Attention, vous ne profiterez pleinement de ce roman que si vous avez une bonne connaissance de Prague ! Il est bon d'avoir erré dans les rues du quartier du château qui surplombe la ville, de voir ces deux mondes reliés seulement par un pont, et de mesurer les distances avec le couvent Strahov, le palais Waldstein, et accessoirement d'avoir des connaissances assez pointues sur l'histoire de la Bohême (les Hussites, Jean Zizka) pour profiter un minimum de ce livre au charme fantasmagorique.


Comme dans le Golem, je suis un peu frustré, car je trouve l'écriture de Meyrinck merveilleusement ciselée, mais sa narration est délibérément touffue et un peu obscur. Ciselé et jouant sur le brillant et le sombre : comme le cristal de Bohême, en somme. Mais l'impression d'une ville où les individus sont manipulés comme des pantins par le passé sanglant qui dort sous les maisons et dans les eaux de la Vltava (prononcer Veltava) est prenante, particulièrement dans les dernières 50 pages où l'insurrection prend forme, sans qu'on la voie vraiment.


A noter l'hostilité de Meyrinck pour le bolchévisme et les masses, sans qu'il idéalise la noblesse endogame, et évidemment son goût pour l'occulte, servi par un style fort visuel (surtout, encore une fois, pour qui connaît les lieux). Le roman propose plusieurs jeux de miroir (Zrcadlo veut dire "miroir"), notamment dans l'opposition des deux couples : le vieux couple Liesel-Flugbeil n'a pas vécu pleinement, mais garde les idées relativement claires au milieu de l'hystérie qui monte, ce qui ne les empêche pas, du fait de leurs faiblesses personnelles, de mourir pour accomplir leur destin personnel. Le couple de jeunes Ottokar-Polyxena est au contraire complétement possédé par les esprits des ancêtres, et engagé dans une relation quasi-vampirique dans laquelle Polyxena joue le rôle de la lamie.


La nuit de Walpurgis est un roman fantasmagorique dont le personnage principal est la ville de Prague sur climat d'insurrection inévitable et condamnée d'avance. C'est un roman sur la possession.

zardoz6704
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le 30 mars 2016

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